Une nounou accusée d’avoir empoisonné les repas d’une famille juive
Mise à jour le 2025-12-10 09:22:00 : Leïla V., 42 ans, est accusée d’avoir versé des produits ménagers dans les aliments d’une famille juive. Trois ans de prison ont été requis.
Il est reproché à Leïla V., une Algérienne de 42 ans, d’avoir versé des produits ménagers dans les aliments et boissons de la famille T., dont elle gardait les enfants. La circonstance aggravante de l’antisémitisme a été retenue par le juge d’instruction. À l’audience du 9 décembre, à Nanterre, elle a nié l’ensemble des faits. Trois ans de prison ont été requis. La décision a été mise en délibéré au 18 décembre.

Le vendredi 26 janvier 2024, Madame T. a trouvé au vin qu’elle avait consommé ce soir de shabbat un petit goût de produit ménager, et à son démaquillant, qui lui a piqué les yeux, se souvient-elle, une couleur inhabituelle. Sur le moment, elle a simplement jugé que le vin avait tourné, mais le lundi 29, elle a remarqué qu’une bouteille de vin entamée le samedi 27 avait une couleur bizarrement opaque, un plat de pâtes cuisiné le dimanche 28 avec un fond whisky, un goût étrange. Un goût de javel. Voilà ce qu’elle dit, mardi 30 janvier, aux policiers du commissariat de sa commune.
Ils se déplacent au domicile de la famille T., d’où ils rapportent un nettoyant toutes surfaces « all purpose » et un gel WC. Ils demandent à Mme T. si une personne a eu accès à leur domicile. Oui, répond Mme T., il y en a une. Il s’agit de Leïla Y., la nounou de leurs trois enfants.
Tandis que l’on procède à des analyses toxicologiques, Leïla Y. est placée en garde à vue. Lors de sa première audition, elle nie avoir versé un quelconque produit toxique dans les boissons et les plats de la famille T. Dans le même temps, les analyses révèlent la présence de polyéthylène glycol dans le vin, les pâtes, l’alcool de figue et le whisky. Une bouteille de jus de raisin, sur laquelle est inscrit en gros : « Jérusalem », présente des traces d’eau de Javel. « Dans la bouteille de Jack Daniels, on retrouve l’empreinte chimique complète du ‘all purpose’ », note le président.
Leïla L., 42 ans, comparait mardi 9 décembre devant la 18ᵉ chambre correctionnelle du tribunal de Nanterre, pour des faits d’administration de substance nuisible, suivie d’ITT supérieure à 8 jours, avec la circonstance aggravante de l’antisémitisme, d’usage de faux document administratif.
Après le résumé des faits, conduit à vive allure par un président qui sait déjà qu’il va finir tard, et l’évacuation de la fausse carte d’identité belge dont la prévenue reconnait qu’elle a fait usage (elle est en situation irrégulière), il demande à celle-ci, qui se tient les mains jointes sur son ventre, l’air sage et attentive, son positionnement sur les faits, et Leïla, depuis son box, répond qu’elle est innocente.
« Comment expliquez-vous qu’il ait été trouvé des traces de produits ménagers dans des bouteilles de vin ? »
Depuis le 26 septembre 2023, Leïla Y. garde les trois enfants de la famille T., les lundi, mardi et mercredi, de 17 h 30 à 20 h, y compris la semaine du 22 janvier et, donc, le lundi 29 janvier – qui fut son dernier jour. Elle est chargée de s’occuper des enfants, mais en aucun cas de faire le ménage. C’est pourquoi, soutient-elle, elle ignorait l’existence même de produits ménagers.
Cette formulation maladroite irrite le président. « Mais enfin, comment imaginer que chez une famille propre et bien rangée, il n’y ait pas de produits d’entretien ?
— Je ne dis pas qu’il n’y en a pas, je dis que je ne l’ai pas vu. Moi, ce que j’avais à faire, c’était de réchauffer les plats, de donner le repas et de ranger les assiettes dans le lave-vaisselle, c’est tout.
— Comment expliquez-vous qu’il a été trouvé des traces de produits ménagers dans des bouteilles de vin ?
— Je ne l’explique pas du tout.
— Alors, Madame, il y a un élément à charge très fort, ce sont vos déclarations. On va lire en l’intégralité. »
Le président lit la deuxième audition de Leïla Y., dans laquelle, répondant aux questions des enquêteurs, la mise en cause dit : « C’est comme une punition, en rapport à ce qu’ils ont fait envers moi. C’est genre, un avertissement, mais je n’ai pas mis un produit qui peut tuer. » Le policier demande de quel produit elle parle, elle répond du « Fabulosa », une petite bouteille de parfum d’intérieur. Le policier demande « dans quel produit consommable l’avez-vous fait ?
— Il y avait du vin rouge.
— Comment ?
— Juste un spray, j’ai appuyé une fois. Je l’ai fait mardi (23 janvier) vers 17 h 30, les trois enfants étaient en train de jouer à côté.
— Pourquoi avoir fait cela ?
— Mon employeur n’était pas bien avec moi, c’était une blague, comme un enfant qui met du sel dans un verre d’eau. »
Elle a réitéré ses aveux lors de son interrogatoire de première comparution, le 6 février, juste avant d’être placée en détention – elle y est toujours. Elle est revenue sur ses aveux en juillet 2024, et, depuis, elle campe sur cette position.
« L’enquêteur m’a mis la pression »
Le président lui demande alors pourquoi avoir reconnu des faits qu’elle n’a pas commis. « L’enquêteur m’a mis la pression. Au début, j’ai dit que j’avais rien fait. J’étais choquée. Il m’a forcée, il m’a dit que je devais reconnaitre les faits. Il m’a obligé au point que j’ai inventé une histoire. J’étais fatiguée, j’avais peur et j’étais paniquée. »
Le président trouve que le PV ne « ressemble pas à des aveux extorqués », et rappelle, avec beaucoup de pincettes, que la cadette de la fratrie l’aurait vue, disent les parents, verser un produit de la salle de bain dans une bouteille de la cuisine. L’avocat de la famille T., Me Patrick Klugman, s’avance vers le centre du prétoire et lance à Leïla Y. : « Vous savez que vos auditions de garde à vue ont été filmées ? » C’est, en effet, le cas, car l’enquête a d’abord été criminelle. « Voulez-vous qu’on regarde les images qui montreraient si oui ou non, vous avez fait l’objet d’une manipulation, d’un coup de pression ? Les images sont là. » Il suffit de briser les scellés. Leïla Y. semble se ratatiner. Comme le juge, Me Klugman tente de lui faire admettre sa responsabilité, mais la prévenue ne change plus de version.
« Cette phrase correspond à des clichés antisémites »
Ensuite, poursuit le président, « j’aimerais qu’on aborde un point important, la circonstance aggravante. »
Pendant la perquisition à son domicile, Leïla Y. s’est emportée contre les policiers qui mettaient son appartement en désordre. Ces derniers notent : « Mme Y déclare spontanément : ‘parce qu’ils ont de l’argent et le pouvoir, je n’aurais jamais dû travailler pour une juive, elle m’apporte que des problèmes’».
C’est la circonstance aggravante de l’antisémitisme, qui vaut à l’instance la présence de trois associations parties civiles, la Licra, SOS Racisme et l’UEJF, ainsi que le président du Crif, Yonathan Arfi en qualité de témoin pour rappeler l’explosion des actes antisémites depuis le 7 octobre 2023. Le président donne à la prévenue l’opportunité de s’expliquer sur ses paroles, et cette dernière répond : « C’était sous le coup de la colère, je tiens à m’excuser auprès de Monsieur et Madame T. pour cette phrase malheureuse. Je ne l’ai pas pensée du tout.
— Cette phrase correspond à des clichés antisémites.
— Je suis d’accord ,Monsieur le juge, mais je n’y ai pas pensé. C’était dans le sens où moi je n’avais pas de situation, alors qu’eux, oui. »
Il a fallu chercher d’autres preuves de son antisémitisme. On a trouvé des recherches internet sur les fêtes juives, des vidéos, partagées sur Facebook, s’émouvant d’enfants palestiniens morts sous les gravats de Gaza. Et puis, ce conflit à propos d’une demande d’augmentation qui lui aurait été refusée, ce dont elle se serait plainte jusque devant l’école des enfants, selon le témoignage de responsable de la sécurité de l’école, qui l’a entendue. Sans oublier toutes ces questions posées aux enfants sur leur religion. Une « obsession » qui, selon la partie civile, caractérise un antisémite, qui motive son geste.
Les époux T., partie civile et présents à l’audience, ont précisé qu’ils n’avaient pas consommé les produits intoxiqués – l’ITT est psychologique. Ils ont fait part au tribunal de la peur qui les tenaille depuis ce jour, de leur intranquillité à l’idée que Leïla Y. puisse être libre, de leur volonté, peut-être, de quitter la France.
Cette dernière, arrivée par l’Espagne deux ans avant les faits, est née en Algérie. Musulmane, berbère, chrétienne – son inconstance au sujet de sa religion lui a aussi été reprochée – non pratiquante, dit-elle. Elle est en situation irrégulière et n’a jusqu’alors exercé que la profession de nourrice. Elle est en détention provisoire depuis désormais 22 mois.
Après les plaidoiries des avocats de la partie civile, au soutien des circonstances antisémites de l’acte, le procureur a pris ses réquisitions plus de cinq heures après le début de l’audience. « Je le dis clairement aujourd’hui, Mme Y. ment à votre tribunal », a-t-il déclaré. Il estime les faits constitués, « avec la circonstance aggravante d’antisémitisme », ajoute-t-il, rompant avec la ligne du parquet jusque-là soutenue. « Cet antisémitisme, il est insupportable pour la société que je représente. » Pour ces faits sordides, il requiert trois ans de prison avec maintien en détention, une interdiction de se présenter au domicile des victimes pendant 5 ans, une interdiction du territoire pendant 10 ans, et une inéligibilité de 5 ans. L’avocate de la défense a plaidé la relaxe des faits d’administration de substance nuisible. La décision sera rendue le 18 décembre.
Ce qu’il faut savoir
- Le fait : Leïla V. est accusée d’avoir empoisonné les repas d’une famille juive.
- Qui est concerné : La famille T. et la nounou Leïla V.
- Quand : Les faits se sont déroulés entre janvier et décembre 2024.
- Où : Nanterre, France.
Sources
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Date : 2025-12-10 09:22:00 — Site : www.actu-juridique.fr
Auteur : Cédric Balcon-Hermand — Biographie & projets
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