
CHRONIQUE. D’où provient ce sentiment de réalité altérée que l’on ressent en suivant l’actualité ou les séries? Vous avez dit «hypnocratie»?
Longtemps, face aux amis qui me parlaient des séries qu’ils dévoraient par tranche de huit épisodes dans une transe hypnotique et jouissive, j’opposais, avec la plus totale sincérité, comme on parle d’une faiblesse du genou, que mon cerveau ne pouvait pas ingérer d’autres histoires que celles que je devais lire pour les pages littéraires du Temps.
En général, ces amies et amis me regardaient avec étonnement. J’insistais alors sur le côté très physique, neuronal en fait, de l’affaire. Rien n’y faisait. Bien que jamais verbalisée, une suspicion s’invitait chez eux, je le sentais bien: est-ce que mon abstinence en matière de séries ne cachait pas un début de jugement de leurs pratiques à eux, pire, un sentiment de supériorité? Comme si le livre conservait, par-delà les millénaires, un L majuscule, une sorte d’aura sacrée, forcément horripilante. Face à ces reproches muets, je prenais le ton de celle qui connaît la vie et qui a donc vécu des passions, bien sûr, pour des séries. Mais voilà, je suis obligée de tenir la bride à mes transports.