
Zéro alcool pendant la grossesse. Martelé depuis des dizaines d’années, ce message de prévention semble connu de tous. Problème : il n’est pas complet. L’alcool étant tératogène – cause de malformation chez le fœtus –, les femmes doivent arrêter de boire dès leur projet de grossesse, mais les hommes aussi sont concernés.
« On sait aujourd’hui que l’alcool est toxique pour les spermatozoïdes, affirme Bérénice Roy-Doray, professeure en génétique à l’Université de la Réunion et directrice du Centre Ressources TSAF de la Réunion. Or, en termes de prévention, on visait seulement la future mère, au risque de la stigmatiser et de concentrer toute la responsabilité sur elle. »
Baisse de quantité et de qualité des spermatozoïdes
C’est en recevant en consultation de nombreux enfants présentant des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF) et dont la mère n’avait pas bu une goutte que la généticienne s’est posée des questions. Au fur et à mesure, la littérature scientifique vient appuyer son postulat : La consommation d’alcool chez le père avant la conception de son enfant a bien un impact sur la santé de ce dernier.
« Chez la souris, le rat et l’homme, l’alcool entraîne une réduction de la quantité et de la qualité des spermatozoïdes, ainsi que des anomalies au niveau du patrimoine génétique des spermatozoïdes », souligne la professeure de génétique. La médecin le rappelle : la moitié du patrimoine génétique d’un enfant vient de sa mère et l’autre de son père.
Malformations et fausses couches
« Si le père consomme de l’alcool avant la conception, cela va donner lieu à des anomalies d’expression de gènes, notamment ceux impliqués dans la croissance et le développement du bébé et de son cerveau », souligne Bérenice Roy-Doray. Conséquences : augmentation du risque de fausse couche, de mort in utero et d’accouchement prématuré, mais aussi de malformations, notamment crânio-faciales.
Une méta-analyse chinoise de 2020, regroupant de nombreuses analyses faites chez l’humain, montre que la consommation d’alcool chez le père dans les trois mois précédant la conception augmente le risque de malformation cardiaque de 44 %. Si cette consommation est occasionnelle mais excessive (le binge drinking), la probabilité est accrue de 52 %.
Un retard cognitif
Un autre problème peut résulter d’une consommation d’alcool chez le futur père : les TSAF. « En France, un enfant sur cent est atteint de ce type de trouble du neurodéveloppement qu’on met souvent du temps à détecter », appuie la docteure Marie-Olivia Chandesris, cheffe de projet scientifique à la Haute Autorité de santé (HAS).
Pour informer le plus grand nombre, la professeure Roy-Doray intervient dans les collèges et lycées de l’île de la Réunion, mais aussi en première année de médecine. « Tous ne seront pas médecin mais beaucoup seront parents, comme ça le message est passé. » Infirmières, auxiliaires de puériculture, aide sociale à l’enfance, PMI, médecins et psychologues scolaires, professeur de SVT, policiers… Elle tente de former le maximum de personnes.
Même avec une faible consommation
Les médecins insistent : tous les hommes buvant de l’alcool sont concernés, et pas seulement ceux dépendants. « Même une consommation en apparence non problématique peut générer des problèmes conséquents, martèle la docteure Chandesris. Avec l’alcool, le risque zéro n’existe pas. Certains ne vont pas avoir de problèmes mais d’autres si. Les accidents génétiques arrivent au hasard. »
Mais bonne nouvelle. Le renouvellement complet du stock de spermatozoïdes étant de trois mois, « la toxicité épigénétique est réversible », explique la cheffe de projet de la HAS. C’est la raison pour laquelle Denis Lamblin, pédiatre à la retraite et président de l’association SAF France, recommande aux femmes et aux hommes de ne plus consommer d’alcool trois mois avant le lancement du projet de grossesse.
« Si les femmes devront poursuivre cette abstinence jusqu’à la naissance de l’enfant, voire l’allaitement, les hommes pourront, eux, reprendre dès la découverte de la grossesse », précise le Docteur Lamblin.