Vins : en procédure de sauvegarde, Tariquet cherche à se diversifier


Agir plutôt que subir, c’est le leitmotiv qui a conduit Armin et Rémy Grassa à solliciter l’ouverture d’une procédure de sauvegarde auprès du tribunal de commerce d’Auch en janvier dernier. Jusqu’alors, les directeurs-généraux du Domaine Tariquet, à Eauze (Gers), qui n’est pas moins que la plus grande propriété viticole familiale de France avec 1 125 hectares, n’étaient pourtant pas du tout au fait de ce processus judiciaire.

« C’est un ami dans l’audit qui nous l’a conseillé. Bien sûr que cela nous a d’abord fait peur. Cette procédure est certes préventive, car nous ne sommes pas en cessation de paiement et avons une trésorerie solide, mais elle est aussi collective et donc publique », avoue Rémy, assis avec son frère devant le bâtiment historique du domaine, acquis par leur grand-père et père en 1912.

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Le ciel gersois s’est considérablement obscurci

Les deux frères sont co-actionnaires, à 56 % à parts égales, avec d’autres membres de la famille et le fonds Crédit Mutuel Equity (24,5 %), et comptent bien le rester longtemps encore. « Puisqu’elle est à l’initiative du dirigeant, mais s’impose aux créanciers, la sauvegarde permet de sortir de l’urgence et donne du temps pour trouver des solutions. C’est comme si on posait la balle au sol », poursuit-il, de façon imagée.

Il était temps. Car, en quelques années, le ciel gersois s’était considérablement obscurci : « Ce n’est pas propre à notre domaine, mais à la région, qui a enchainé quatre mauvaises récoltes. Du jamais vu », souligne Armin. Il y a également eu des facteurs externes : les manifestations des Gilets jaunes, qui avaient perturbé les ventes de fin d’année 2018, puis le Covid et le relèvement des taxes sous la première présidence de Donald Trump.

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Chiffre d’affaires en berne

Résultat, entre 2021 et 2024, la production a chuté de près d’un tiers, passant de 8 millions à 5,5 millions de bouteilles de vins blancs et d’armagnac, les deux spécialités du domaine. Conséquence, le domaine a vu sa dette monter en flèche : elle a atteint 28 millions d’euros, soit presque autant que le chiffre d’affaires, qui a fondu à 25 millions d’euros, contre 30 à 32 millions d’euros auparavant.

Une charge qu’en temps normal, l’entreprise aurait pu supporter. Le duo a en effet toujours régulièrement investi, près d’une cinquantaine de millions d’euros depuis 2007, dans des pressoirs plus grands et performants, des lignes d’embouteillage ou encore des machines pour limiter les traitements sur les vignes, respectant les préceptes de l’agriculture raisonnée.

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« La sauvegarde permet non seulement de suspendre le remboursement des créances mais aussi d’étaler la dette. Nous n’avons pas besoin de licencier », soulignent les deux dirigeants, qui emploient une centaine de personnes et doublent leur effectif durant les vendanges. Le diagnostic réalisé par un expert a été présenté au tribunal de commerce le 4 avril dernier, il reste maintenant deux mois pour peaufiner la réorganisation formulée dans le plan de sauvegarde. « Nous avons demandé une prolongation de la période d’observation de six mois pour inclure la récolte », annonce Armin, sachant que le délai ne peut excéder 18 mois.

Arrachage et diversification

Deux axes forts se distinguent : l’adaptation de l’organisation à des volumes moindres, de 20 %, en arrachant, entre autres, les vignes les moins rentables, mais surtout la poursuite de la diversification. Aussi bien géographique qu’en termes de gamme, avec le lancement notamment de vins rouges l’an prochain. Autre piste, l’accueil de visiteurs sur le domaine pour une dégustation, voire une nuit sur place. D’après une récente étude d’Atout France, 12 millions de personnes ont exploré en 2023 les vignes françaises, soit 20 % de plus qu’en 2016. « Le consommateur est en quête de transparence et d’un lien direct avec les producteurs et le touriste en quête d’expériences. Nous pouvons répondre aux deux attentes », affirme Rémy, en faisant visiter les nombreux bâtiments, dont la rénovation a déjà commencé.

Une déconsommation globalisée

La consommation mondiale de vin a de nouveau reculé en 2024, à son plus bas niveau depuis 1961, selon l’Organisation internationale du vin qui estime que les achats de vin ont diminué de 3,3 % par rapport à 2023, à 214,2 millions d’hectolitres. La demande est en baisse sur des marchés clés comme les États-Unis et les prix moyens à l’export sont 30 % supérieurs à l’avant Covid, gonflés par de faibles volumes de production, la hausse des coûts et l’inflation générale.

Derniers stigmates de cette « tempête parfaite », selon l’OIV : le géant des spiritueux Pernod Ricard qui annonce un recul de son chiffre d’affaires de 3 % au troisième trimestre 2024, à 2,3 milliards d’euros, et maintient des perspectives de repli des ventes. Le propriétaire du cognac Martell souffre notamment d’un marché chinois toujours atone et qui a exclu ce spiritueux des duty-free de ses aéroports. Une autre grande maison de cognac, Rémy Martin, filiale de Rémy Cointreau, a, elle, décidé de placer 260 salariés du site de Merpins (Charente) au chômage partiel une semaine par mois jusqu’en juin. Les marchés chinois et américains représentent environ 80 % du chiffre d’affaires de Rémy Martin.

Même si les deux dirigeants ne sont pas sortis d’affaire, ils sont devenus d’ardents défenseurs de la sauvegarde, régulièrement confondue avec le redressement judiciaire, dont elle diffère pourtant sur bien des points. D’après Altarès, au premier trimestre, 17 845 procédures collectives ont été ouvertes, soit 4,4% de plus qu’il y a un an, les hausses étant les plus importantes dans l’agriculture, les services informatiques et la restauration. Mais, sur le total, la sauvegarde représente seulement 2,1%, versus 28,5% pour le redressement judiciaire, le solde étant des liquidations.

« Il y a de la confusion : il est nécessaire de faire de la pédagogie auprès des clients par exemple. Mais nous sommes aussi approchés par des confrères qui nous remercient d’avoir mis cette solution en lumière », partage Rémy. « La crise n’épargne personne. Quand nous sommes sortis du tribunal d’Auch la dernière fois, nous avons croisé le dirigeant d’un domaine voisin qui venait pour la même raison ».

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