Vélos dans les trains : la SNCF peut mieux faire

En ce jour de vacances de printemps, Virginie, son conjoint et leurs deux ados voyagent à bord d’un TER, direction Montluçon (Allier). Leurs vélos aussi. Dès le lendemain matin, ces Tourangeaux fileront sur la Cyclo Bohème, la véloroute qui suit l’Indre et les ramènera en trois jours jusque chez eux. Un périple de 350 km qui ne fait pas peur à cette famille aguerrie au cyclotourisme depuis huit ans.

« Nous avons sillonné les deux tiers de la France », explique Virginie, qui a répondu à l’appel à témoignages de Reporterre. Or, dès qu’il faut prendre le train avec des deux-roues, l’organisation du voyage se révèle « un vrai casse-tête ». En fonction de l’itinéraire choisi, il faut jongler : existe-t-il un TER adapté pour accueillir facilement ces quatre vélos ? Faudra-t-il prévoir de les démonter et de les mettre dans une housse ? « Nous réservons des places pour vélo, mais parfois il n’y en a qu’une par wagon, par exemple sur le TGV Marseille-Paris, déplore la Tourangelle. Au départ de Marseille, il n’y a pas d’espace vélo proposé, mais à partir de Lyon, il y en a un. Cherchez l’erreur… »

« Les possibilités de voyager avec son vélo ne se sont pas améliorées aussi vite que les besoins grandissants des cyclistes »

Les cyclistes itinérants, à l’instar de cette famille, sont chaque année plus de 2,2 millions à découvrir la France en pédalant [1]. Mais l’engouement pour la cyclorandonnée se heurte encore à un manque d’équipement dans les trains et dans les gares. C’est ce que dénonce le collectif Mon Vélo dans le train, qui regroupe une douzaine d’associations de promotion du vélo et du train. Il estime que la France n’est pas à la hauteur de l’enjeu et a publié le 10 janvier un livre blanc appelant à « un choc d’offre et un choc de simplification » pour rendre les trains plus accessibles aux vélos.

« Les possibilités de voyager avec son vélo ne se sont pas améliorées aussi vite que les besoins grandissants des cyclistes, créant beaucoup de mécontentements », estiment les membres de Mon Vélo dans le train. Certes, il y a eu quelques progrès sur le nombre d’emplacements, reconnaît le collectif. Depuis mars 2021, un décret impose à tous les TGV, Ouigo et Intercités « neufs » ou « dont la rénovation est engagée » de comporter huit emplacements vélo. Les nouveaux TER, eux, doivent sacrifier 2 % de leur nombre de places assises aux bicyclettes.


Des normes sur le nombre de places dédiées aux vélos s’appliquent pour les nouveaux trains depuis 2021.
© Armand Portaz – AF3V

Sébastien, utilisateur régulier de la ligne TER Nevers-Dijon pour le travail, mais aussi pour les balades, se dit satisfait : « Il y a toujours de la place pour les vélos, donc pour les personnes aussi, même en saison touristique. C’est rassurant et fiable, pas besoin d’anticiper. Et c’est gratuit. »

Jusqu’à 180 vélos par jour sur le Lyon-Marseille

Armand Portaz, référent intermodalité vélo à l’Association française pour le développement des véloroutes et voies vertes (AF3V), cite plusieurs exemples encourageants : lors des périodes de forte affluence, les trains sur l’axe Lyon-Marseille seront capables d’emporter cette année jusqu’à 180 vélos sur une journée. Ce sera jusqu’à 130 vélos sur la ligne Genève-Lyon. En Loire-Atlantique, une voiture dédiée aux vélos est proposée sur certains trains de l’itinéraire de la Loire à vélo, avec une personne pour aider à l’embarquement et débarquement des cycles.

Autre avancée importante, réalisée en concertation avec les associations du collectif Mon Vélo dans le train : les nouveaux TGV M, qui rouleront à partir de fin 2025 ou début 2026 sur l’axe Paris-Lyon-Marseille, puis vers l’Italie, seront équipés de huit places vélo, avec des espaces modulables permettant d’embarquer à terme jusqu’à 20 deux-roues.

Encore trop peu de places pour les bicyclettes

Mais la grande majorité des trains datent d’avant 2021 et ne sont pas tous rénovés. Ainsi, aucun TGV Ouigo n’accepte pour l’heure les vélos autrement que démontés et dans une housse n’excédant pas 130×90 cm. Les rames rénovées — qui arriveront seulement cette année — seront pourvues « de huit espaces vélos avec crochets. Sachant qu’un Ouigo circule toujours en unité multiple (deux TGV collés), il y aura seize emplacements par train », assure SNCF Voyageurs.

Quant aux TGV Inoui, 49 % d’entre eux ne permettent toujours pas de voyager avec un vélo non démonté. C’est un peu mieux pour les Ouigo train classique, les Intercités et les TER, dont la plupart possèdent des espaces dédiés.

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Les espaces vélo munis de crochets peuvent être difficiles d’accès pour certains voyageurs.
© Armand Portaz – AF3V

Dans la pratique, en période d’affluence, les cyclistes ont encore souvent des sueurs froides quand il faut démonter le vélo et le mettre dans une housse. « C’est plus de 30 kg à porter jusqu’à la voiture », rappelle le collectif Mon Vélo dans le train.

Celles et ceux qui ont la chance de voyager avec leur vélo non démonté ne sont pas forcément mieux lotis : espaces vélo complets, concurrence avec les poussettes et bagages, vélos qui bloquent les portes, mauvaise humeur des autres voyageurs… « S’il y a de l’affluence, le contrôleur peut vous refuser de monter », nous écrit Jacques, qui prend le train tous les ans avec son biclou.

La réglementation laisse en effet beaucoup de latitude à l’exploitant ferroviaire : il peut refuser que les cyclistes montent pour « des motifs de sécurité ou de sûreté ou en raison de circonstances exceptionnelles » et imposer des dimensions et un poids maximum, excluant les vélos couchés, tricycles, tandems, vélos cargo, ou encore remorques.

La « jungle » des réservations

Autre point noir pour les cyclotouristes : la réservation d’un billet. « Parfois gratuit, parfois payant, gratuit mais avec réservation et à certaines dates… la jungle, soupire Jacques. Le plus dur étant de trouver l’option “vélo non démonté” lors de la réservation. » Sur les TGV et Intercités, les choses sont assez simples : il faut réserver une place pour son vélo non démonté et il en coûte 10 euros (5 euros sur les trains sans réservation obligatoire). Sur les Ouigo, les vélos, même démontés, nécessitent une réservation facturée 5 euros.

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En période de forte affluence, comme les week-ends ou les vacances, il peut être impossible de trouver une place pour ranger son vélo dans le train.
© Armand Portaz – AF3V

L’affaire se complique pour les TER, gérés par les Régions, qui appliquent chacune des règles différentes. Certaines imposent une réservation l’été, d’autres toute l’année. « Trouver le précieux sésame relève du parcours du combattant, aussi bien pour deviner sur quels trajets une réservation est requise, que pour se la procurer train par train à travers des applications ou sites internet disparates et presque toujours distincts de ceux où l’on achète son billet », cingle le livre blanc, qui déplore aussi que ce type de réservation ne puisse se faire ni au guichet, ni auprès du contrôleur.

Des gares et des quais trop peu accessibles

Selon une enquête menée en 2024 par l’AF3V, 30 % des cyclotouristes interrogés indiquent avoir eu des difficultés lors de leur réservation. Et, même munis d’une réservation, 30 % ont ensuite eu du mal à trouver une place dédiée. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on réserve une place pour son vélo qu’on en trouvera une. « En revanche, le contrôleur ne peut pas vous empêcher de monter » si vous avez une réservation vélo, explique Armand Portaz.

Pour lui, la réservation n’est pas forcément une mauvaise idée : « On n’est pas contre sur les axes chargés à la belle saison, à condition de renforcer l’emport vélo à ces périodes. Il faut aussi que la réservation soit simple et harmonisée. » Cette demande commence à être prise en compte avec la création par la SNCF d’une plateforme nationale baptisée Veloabord. Celle-ci est censée faciliter les choses, mais elle est encore loin d’être optimale. « Toutes ces usines à gaz pour prendre un simple train régional sont dues à un seul problème : le manque de capacité de nos trains pour l’emport des vélos », écrivent les associations dans le livre blanc.

« Le personnel ne pouvait pas nous dire si le compartiment à vélos se trouverait à la fin ou en début de train. On a donc couru »

Le dernier obstacle — et non des moindres — à franchir pour le randocycliste est l’accès au train. Escaliers à monter, ascenseurs trop petits, voitures vélo pas indiquées sur le quai, portes du train pas adaptées (en particulier sur les Intercités), crochets à vélo en hauteur… il faut être motivé et en forme physique. L’épreuve est d’autant plus difficile avec un vélo électrique, plus lourd.

Karin raconte quelques péripéties vécues avec ses trois amis lors d’un changement à Cannes : « Le personnel ne pouvait pas nous dire si le compartiment à vélos se trouverait à la fin ou en début de train. On a donc couru. » Une fois dans le train, les emplacements prévus pour suspendre les vélos se sont révélés trop étroits pour les pneus de leurs VTT électriques.

Dans la Nièvre, si Sébastien est ravi de son TER, il déchante dans certaines gares. Celle de Decize, la ville où il réside, a été rénovée en 2024. Mais les deux nouveaux ascenseurs sont trop petits pour accueillir plus d’un vélo à la fois. Il faut donc monter les escaliers d’une passerelle pour traverser la voie. « Des rampes auraient pu être étudiées pour accéder depuis les rues environnantes », juge Sébastien.

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Des goulottes installées sur les escaliers peuvent faciliter le déplacement des vélos en gare… si elles sont adaptées.
© Armand Portaz – AF3V

Quant à la gare de Nevers, pas d’ascenseur, mais un tunnel et des escaliers. « Des goulottes installées récemment sont impraticables [à cause des sacoches, qui se prennent dans la rampe], mais cela permet à la SNCF et à la Région de dire qu’elles agissent pour les cyclistes », raille-t-il.

Les goulottes sont en effet une alternative bon marché pour rendre les quais accessibles. Encore faut-il qu’elles soient bien conçues, avertit Armand Portaz, de l’AF3V. Il espère que le modèle actuellement testé en région Auvergne-Rhône Alpes puisse être homologué et généralisé partout.

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