« Trains de la colère » : le Massif central veut sortir de l’enfer ferroviaire

Entre Clermont-Ferrand et Paris, reportage

« Le centre de la France, le Sud-Ouest et le Massif central ne sont pas des territoires de seconde zone », martèle Andréa Brouille vice-présidente (PS) de la Région Nouvelle-Aquitaine. Avec elle, ils étaient environ 400, selon les organisateurs, le 15 avril, dans la mobilisation qui alertait sur l’état alarmant des lignes ferroviaires Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (Polt) et Paris-Clermont-Ferrand. Ils demandaient à l’État des engagements fermes pour des investissements.

En fin d’après-midi, tous les élus des deux lignes ont quitté furieux la réunion avec le ministère des Transports, après avoir découvert qu’un communiqué de presse sans annonce nouvelle avait été envoyé… avant même le début de la rencontre. Pire encore : le ministre des Transports, Philippe Tabarot, était absent. Un camouflet, perçu comme un symbole du mépris de l’État pour ces territoires.

La journée avait pourtant commencé dans une ambiance très joyeuse. Au départ de Clermont-Ferrand, une centaine d’élus, d’acteurs économiques, culturels, touristiques ou sportifs, des citoyens engagés, des représentants d’associations et des journalistes avaient pris place dans les wagons pour rejoindre la capitale. À bord, en plus des usagers habituels, de nouveaux voyageurs ont grossi les rangs du convoi à Riom-Châtel-Guyon, Vichy, Moulins et Nevers. Même chose sur la ligne Polt, à Gourdon, Souillac, Brive, Uzerche, Limoges, Argenton et Châteauroux.


Parmi les usagers habituels du train, des élus et associatifs. Ici Patrick Wolf, président de l’association Objectif Capitales.
© Maxime Fraisse / Hans Lucas / Reporterre

« Investissements vitaux »

« Ces lignes comptent parmi les seules où on peut légitimement se demander, quand on part, si on arrivera bien à destination sans encombre, regrette Christine Pirès-Beaune, députée socialiste du Puy-de-Dôme. Alors que se tenait quelques heures plut tôt le comité d’alerte des finances à Bercy, « il ne faudrait pas que le contexte budgétaire soit propice à des reculs sur ce qui a été annoncé la semaine dernière [amélioration des dédommagements en cas de retard et de la maintenance des locomotives]. Sans des investissements vitaux, la création d’une desserte fiable et ponctuelle, ainsi qu’une réduction significative du temps de parcours ne seront pas possibles ».

Desservant à elles deux près de 10 millions d’habitants, ces lignes ne bénéficient pas des mêmes attentions de la part de l’État, en matière d’aménagement du territoire et de niveau de service, que le reste des régions françaises, alors qu’elles sont pourtant définies comme lignes structurantes des Trains d’équilibre du territoire dont l’État est l’autorité organisatrice.

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Arrivée des élus sur le parvis de la gare de Paris-Bercy.
© Maxime Fraisse / Hans Lucas / Reporterre

Retards récurrents de plusieurs heures, locomotives vieilles de bientôt cinquante ans, voitures, fauteuils, moquettes usés, sous-investissement chronique depuis des décennies sur le réseau, les lignes Clermont-Nevers-Paris et Paris-Orléans-Limoges-Toulouse se distinguent par de tristes records. Sur la première, les retards de 2024 représentent 26 jours, 5 heures et 13 minutes, d’après la Région Auvergne-Rhône-Alpes.

« L’exigence d’être traités d’égal à égal avec le reste de nos concitoyens »

« Le temps de parcours [entre Clermont et Paris] s’allonge, remarque Edouard Dugat, médecin urgentiste à Clermont-Ferrand et Moulins (Allier). Il est passé de 2 h 58 en 2008 à 3 h 14 en 2025. » Le médecin reconnaît s’être tourné parfois vers des formations à Lyon plutôt qu’à la capitale pour s’épargner les désagréments d’un trajet.

« Nous demandons au gouvernement d’entendre nos revendications, qui ne reflètent que l’exigence d’être traités d’égal à égal avec le reste de nos concitoyens, détaille Andréa Brouille. L’État doit prendre conscience que la situation actuelle nuit gravement à leur mobilité et à leur santé économique et touristique. Nous attendions un État à côté des collectivités territoriales, à côté des entreprises qui ont l’audace de rester dans nos territoires, comme Legrand [Limoges] et Michelin [Clermont-Ferrand]. »

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«  Inconcevable  » que les Français «  en soient réduits à choisir la voiture plutôt que le train  ».
© Maxime Fraisse / Hans Lucas / Reporterre

« Nette dégradation »

Des acteurs très variés sont concernés. Consultant en accessibilité, Gil Meyland, handicapé de naissance, avec des membres incomplets, commente la ligne Clermont–Paris : « Aucune amélioration depuis 2016, voire une nette dégradation. Il m’arrive de passer plusieurs heures sans accès aux toilettes, à cause de l’état du matériel », dénonce-t-il. D’ailleurs ce jour-là, deux classes de CM2 de Chamalières (Puy-de-Dôme) en voyage scolaire doivent s’arranger avec des toilettes bouchées dans leur wagon. Autant dire que les 3 h 30 de trajet ont semblé longues aux maîtresses !

Depuis plus d’une décennie, des collectifs citoyens et des associations comme Urgence Polt et le Collectif Clermont-Paris se mobilisent pour défendre le service ferroviaire sur ces axes structurants du Massif central. Le choix de désenclaver l’Auvergne grâce aux autoroutes, pendant la présidence de Valéry Giscard d’Estaing au conseil régional (1986-2004), a fait prendre un retard considérable aux investissements sur le train.

« À l’heure de la lutte nécessaire contre le réchauffement climatique, il est inconcevable que 10 millions de Françaises et de Français en soient réduits à choisir la voiture plutôt que le train, venant de surcroît encombrer un peu plus les routes et autoroutes de la région parisienne. Cela est valable également pour le fret », argumente Olivier Bianchi, maire socialiste de Clermont-Ferrand et fils de cheminot.

« On n’attendait pas grand-chose, on n’a pas été déçus »

Une délégation restreinte avait prévu de remettre au ministre un livre blanc dans lequel les collectifs formulent des demandes concrètes et urgentes pour moderniser et sécuriser les lignes : davantage de locomotives, maintenance renforcée, locomotives de réserve avec conducteurs d’astreinte, livraison de nouvelles rames, limiter les fermetures totales pendant les travaux, sécuriser les voies, améliorer les gares, baisser les tarifs en période de perturbations, augmenter le nombre d’allers-retours (jusqu’à quatorze par jour)… L’accueil de la délégation a été perçu comme un immense mépris de la part du gouvernement.

« On n’attendait pas grand-chose, on n’a pas été déçus, lâche Fabien Bazin, président (PS) du conseil départemental de la Nièvre. On nous a écoutés sans grande considération, puis on a repris comme si de rien n’était. C’est complètement irresponsable de la part du gouvernement et de la SNCF. Ce n’est pas seulement une affaire technique ou budgétaire : c’est l’avenir d’un territoire entier qui est en jeu. Nous avons demandé que le dossier soit transmis au président de la République, car il est clair que c’est à ce niveau que tout se joue. »


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