
Le burn-out et la dépression frappent silencieusement les agriculteurs du Gers. Ce fléau, nourri par l’isolement et la pression sociale et économique, pousse certains à tenter l’irréparable. Rencontre avec trois exploitants, aux parcours de vie semé d’embûches.
Un mal silencieux qui ronge les campagnes. La France est aujourd’hui le deuxième plus gros consommateur de benzodiazépines en Europe. Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais ces petits comprimés sont couramment prescrits pour soulager l’anxiété, le stress ou l’insomnie. Des symptômes récurrents chez les personnes souffrant de dépression ou burn-out. Ce chiffre interpelle et soulève une question d’envergure nationale : ces maladies mentales progressent-elles de manière exponentielle dans l’Hexagone ?
Dans le Gers, en tout cas, ces pathologies ne sont pas étrangères aux agriculteurs. Pour Jeanne*, tout a basculé en octobre dernier. « Notre fils venait de s’installer sur de la coriandre, l’État s’était désengagé. Les échéances des prêts arrivaient, et il n’y avait plus un sou sur le compte en banque. »
C’est d’ailleurs un appel de la banque qui fait tout chavirer. La conseillère lui rappelle que les remboursements arrivent à terme. Jeanne écoute, l’esprit ailleurs. L’appel se termine. Elle monte à l’étage. « Et là, j’ai voulu sauter par la fenêtre. » Un geste désespéré, heureusement évité. Mais son cerveau a effacé ce moment. Il lui a fallu trois semaines d’hospitalisation pour commencer à remonter la pente. « Ça va mieux, mais je suis toujours suivie. Comme dit mon mari : on n’a toujours pas d’argent, mais ça va mieux. »
« J’avais besoin de couper »
Son histoire est celle de beaucoup d’autres agriculteurs. À quelques kilomètres, Jules* a lui aussi frôlé le drame. Installé depuis une quinzaine d’années au cœur des vallons gersois, c’est en s’endormant au volant, ses deux enfants à l’arrière, qu’il prend conscience de l’ampleur de son mal-être. Encore une fois, l’accident est évité de justesse. Mais Jules, lui, est au bord du gouffre.
« J’étais arrivé au bout, confie-t-il difficilement. Épuisé physiquement, psychiquement. Je ne dormais plus. Je n’arrivais même plus à réfléchir. » C’était il y a presque deux ans. Aujourd’hui, Jules mesure la violence de son métier d’éleveur. Astreinte quotidienne, charge mentale liée aux aléas climatiques, épisodes de parasites, injonctions sociétales et environnementales… Rien ne l’épargne.
« On a perdu beaucoup de chèvres ces deux dernières années. Et ça, ça te mine encore plus le moral. » Un moral déjà au plus bas. Dès qu’il posait le pied à la ferme, son esprit sombrait à nouveau dans le chaos.
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« J’avais besoin de couper. Mais quand on est agriculteur, ce n’est pas si simple. C’est ça, le drame de notre burn-out. Quand on est seul sur son exploitation, il faut bien continuer à nourrir les animaux. Et les confier à quelqu’un, ce n’est pas quelque chose qui se fait du jour au lendemain. » Aujourd’hui, Jules est toujours sous antidépresseurs. Et bien que l’équilibre soit plus stable, la menace de rechute plane constamment.
Un tabou encore présent
Mais pour certains, l’histoire ne se conjugue malheureusement pas au passé. C’est le cas de Lucie*, qui s’apprête à céder son élevage. « J’ai fait un burn-out qui n’a jamais été diagnostiqué, mais qui a été provoqué par un véritable acharnement administratif », confie la jeune femme.
Éleveuse, elle affirme avoir été victime de demandes de mises aux normes « pas du tout conformes à la loi », qui ont abouti à une mise en demeure. « Évidemment, elle n’a pas tenu, mais pour moi, c’en était trop. Quand j’ai reçu le courrier, j’ai hurlé, alors que je ne suis pas du genre à me laisser aller. » Lucie ne s’en est jamais remise. Aujourd’hui, c’est son mari qui reprend peu à peu les rênes de l’exploitation. Elle, de son côté, ne peut plus y remettre les pieds. Le traumatisme est encore trop présent.
Tous les agriculteurs interrogés ont tenu à conserver l’anonymat. Un signe, s’il en fallait, que ce tabou entoure encore trop souvent le métier.
*Les prénoms ont été modifiés.