
Pour développer un élevage capable de fournir en singes les laboratoires français, le CNRS veut tripler la capacité d’accueil de la station de primatologie du Rousset, dans les Bouches-du-Rhône. Selon ce projet, elle deviendrait d’ici à 2030 le centre national de primatologie et fournirait une part bien plus important qu’aujourd’hui des primates non-humains dont dit avoir besoin la recherche biomédicale.
Opposée à l’expérimentation animale en général et à celle sur les primates en particulier, l’association One Voice organise à l’occasion de la journée mondiale des animaux dans les laboratoires un rassemblement le 26 avril devant la mairie de Rousset pour dénoncer un projet « qui transforme un lieu principalement dédié à l’observation de colonies de babouins en un élevage pour de l’expérimentation animale invasive », dit Louise Kœnig, chargée de campagne à One Voice. Un appel rejoint par le Parti animaliste.
De 300 à 1 740 singes
Aujourd’hui, la station du Rousset accueille en majorité des babouins à des fins de recherche en éthologie, l’étude du comportement animal. Si la capacité maximale est de 600 singes, le site n’en compte actuellement que 300 selon Ivan Balansard, vétérinaire au bureau Éthique et modèles animaux du CNRS.
Également président du Gircor, une association qui regroupe les établissements de recherche publics et privés français ayant recours aux animaux, il confirme qu’à terme le centre de primatologie devra accueillir 1 740 primates : « Cet élevage doit permettre à terme de couvrir la moitié des besoins de la recherche académique française en macaques à longue queue, qui est l’espèce la plus utilisée. »
Le centre de primatologie répond à la demande des principaux instituts de recherche publique concernés par la recherche biomédicale (CEA, Pasteur, CNRS et Inserm). « Depuis la crise du Covid, il est devenu très compliqué pour les laboratoires français de se procurer des primates », dit le défenseur du projet. La Chine, qui était le premier éleveur de macaques à longue queue, a stoppé ses exportations de singes en 2020, après une explosion des demandes des laboratoires pour les recherches sur le Covid.
Plus de 30 000 euros pour un macaque
La valeur d’un macaque est ainsi passée de 4 000 à plus de 30 000 euros. Autre complication, Air France, dernière compagnie dans le monde à transporter des primates, a décidé en 2022 d’arrêter sous la pression d’associations de défense animale comme Peta.
« Ce projet est à rebours de la demande sociétale, déclare Louise Kœnig, alors que trois quarts des Français sont défavorables à l’expérimentation animale selon un sondage Ipsos » commandé par l’association. Ce à quoi les chercheurs concernés, une soixantaine d’équipes françaises réunies au sein du groupement de recherche BioSimia, rétorquent qu’aujourd’hui la recherche biomédicale ne peut pas se passer des singes, plus proches cousins de l’homme. Les recherches en question couvrent les neurosciences, l’infectiologie en particulier pour les vaccins et l’immunologie dont l’immunothérapie dans le traitement des cancers.
Des conditions d’élevage « bien meilleures que ce qu’il se passe ailleurs »
Chaque demande d’utilisation des primates passe devant un comité d’éthique qui statue sur le caractère strictement nécessaire de l’expérimentation. Mais l’encadrement et la transparence ne réduisent pas la violence des méthodes invasives pour les animaux, comme les implants dans la boîte crânienne.
Pour les défenseurs de la cause animale, les souffrances infligées sont inacceptables, d’autant plus que la directive européenne qui encadre l’expérimentation animale a pour objectif de la stopper totalement, « dès que ce sera possible sur un plan scientifique ». Donc plutôt que d’investir des millions d’euros dans un élevage, One Voice appelle à développer des méthodes sans animaux. Celles-ci, qui comprennent par exemple des organes humains synthétiques, sont toutefois encore très loin de pouvoir remplacer un corps vivant, notamment en immunologie.
« À défaut de pouvoir arrêter dès maintenant l’expérimentation sur les primates, il est important de garder la main sur la conduite des élevages et de garantir des normes exigeantes en matière de bien-être animal », défend Ivan Balansard qui insiste sur la qualité des conditions d’élevage dans ce projet « bien meilleures que ce qu’il se passe ailleurs ».
« Ce projet ne règle pas le problème »
Là encore, l’argument ne fait pas mouche à One Voice puisque l’élevage du Rousset sera au mieux en capacité de fournir la moitié des besoins français à la fin de la décennie. « Donc ce projet ne règle pas le problème, des macaques continueront de venir de l’île Maurice où nos enquêtes ont montré les souffrances infligées aux macaques », déclare Louise Kœnig.
Dans un communiqué du 17 mars qui reprend les derniers chiffres sur l’expérimentation animale de 2023, One Voice dénonce le laxisme sur l’origine des animaux, en particulier des animaux nés en captivité de parents sauvages (dit F1) alors que la réglementation européenne impose des singes de deuxième génération de captivité (dit F2).
Pénurie de macaques
Le Gircor a réagi dans un contre-communiqué pour expliquer que ce décalage est lié à des animaux rentrés dans les laboratoires avant cette obligation qui date d’octobre 2022. La forte demande de macaques a aussi conduit les élevages mauriciens à avoir recours aux singes dit F1, faute de F2. Une pénurie qui a justement motivé le projet d’élevage français.
Au-delà de cette bataille des chiffres, One Voice alerte sur la menace qui pèse sur les macaques à longue queue, classés en danger d’extinction par l’UICN, et accuse le CNRS d’être en partie responsable en alimentant le commerce international de primates. Ce à quoi le Gircor rétorque que tous les macaques — sauf un en 1996 — sont issus d’élevages agréés. En France, l’expérimentation animale utilise en France deux millions d’animaux chaque année. Dont environ 3 500 singes.
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