
Un trésor de 450.0000 négatifs, près de 400 images sélectionnées et proposées au public, 30 commentées en audio guide avec la voix de Robert Doisneau, des collages, des travaux pour la publicité, aussi : l’exposition Instants Donnés que consacre au photographe le Musée Maillol à Paris*.
« Un effet facile »
Pour beaucoup, son nom reste associé à la photo que nombre de touristes visitant la capitale tentent dupliquer : Le baiser de l’hôtel de ville. À elle seule, cette image en noir et blanc (réalisée au Rolleiflex en 1950) d’un couple d’anonymes s’embrassant devant la Mairie de Paris suffit pour que le nom de Doisneau soit prononcé. Mythique ! « Cette photo m’inquiète un peu : ce succès montre que c’est une chose très, très facile, un effet facile », racontait le photographe.
Conteur invétéré, témoin de son temps, journaliste photographe (carte de presse 2.310), passeur… Robert Doisneau (1912-1994) n’avait cependant pas pour habitude de céder à la facilité pour prendre ses clichés. Parfaitement composée, sa vue romantique parisienne n’avait rien de hasardeuse mais avait été soigneusement orchestrée, avec deux modèles, élèves du cours Simon.
« J’hésite… en réalité »
Doisneau qui photographia l’enfance, les gens de labeur, les gens de peu, les gens de rien, Paris, la banlieue, leurs bistrots, les ateliers d’artistes, les écrivains, la mode aussi, bref, la vie, avait sinon un œil de lynx, la patience du chat. « Oh là là, Si vous me voyiez faire ! J’ai honte. D’abord honte de rester sur place parce que… j’ai l’air d’hésiter, mais j’hésite… en réalité. Je ne sais pas ce que j’attends… mais j’attends. J’attends. J’ai l’espoir. Et alors… ».
Et alors… Les images exhumées au Musée Maillol par L’Atelier Robert Doisneau (animé par ses filles Annette et Francine) et la société Tempora (spécialisée dans la réalisation d’expositions) veulent refléter cette œuvre si singulière.
Pour la première fois dans une exposition Doisneau, il est ici question de l’entièreté du parcours du photographe, avec des clichés de 1934 à 1992. Et la volonté affichée de proposer de Doisneau une autre image que celle qui lui colle habituellement à l’objectif. Selon le musée Maillol, il s’agit de la plus grande rétrospective consacrée au photographe depuis vingt ans.
* Du 17 avril au 12 octobre 2025, 59-61, rue de Grenelle, 75007 Paris.
«Mademoiselle Anita » (1951), une des photos de la série que Robert Doisneau consacra aux bistrots : « S’il vous plaît, ne changez rien, ne bougez rien, je vous expliquerai après » demanda Doisneau à son modèle. « Elle a dû se rendre compte de l’effet produit car, sans même lever les yeux, elle a gardé cette attitude de pudeur obstinée qui lui allait si bien… ».
«Les bouchers mélomanes » (1953). « Je maintiens qu’il est bon de posséder un bistrot familier. Deux, c’est encore mieux », affirmait Doisneau qui, pour cette photo prise dans un bistrot du quartier à Mouffetard, à Paris. « Est-ce que ça vous ennuie si je fais une photo de vous ? », demanda Doisneau à la chanteuse. « Non », lui répondit-elle. « Alors j’ai mis discrètement un peu d’argent dans la soucoupe : ça a dû lui plaire. Et j’ai deux trois photos d’elle. En fait, la meilleure photo d’elle, que j’ai, c’est ce jour-là »

«L’usine Bobin, à Montrouge » (1945). Doisneau a beaucoup photographié les ouvriers, l’industrie d’un monde en pleine mutation, autant de sites photogéniques au cœur desquels l’objectif du photographe se confronte surtout au réel d’une classe sociale dont il exprimera sans relâche les difficultés.

«Le saut » (1936). Robert Doisneau ne cessa de photographier l’enfance, tout attiré qu’il est par l’innocence de ses modèles, leur enthousiasme et bonheur de l’instant partagé ; par ce qu’ils lui rappellent aussi de sa propre enfance, lui qui fut orphelin de mère et de père à l’âge de 8 ans : « Désobéir me paraît une fonction vitale et je dois dire que je ne m’en suis pas privé ».

«Les coiffeuses au soleil » (1966). Une scène de rue parisienne, comme Doisneau les affectionnait tant. « On se met à un tel endroit, où ça vous arrange. Donc… c’est… c’est une espèce de faux témoignage… ah oui… Mais on se sert de matériaux vrais, ça c’est… c’est bien. Ça donne une solidité. Mais on y croit comme ça », exprimera Robert Doisneau sur ce type de cadrage.

Autoportrait de Robert Doisneau, réalisé au Rolleiflex en 1947, « l’appareil dont on avait tous envie », dira le photographe qui finira par en user le vernis noir qui en recouvre la surface à force de manipulations.