
De part et d’autre, on se renvoie la balle – comme dans tous les conflits. D’un côté de la Méditerranée, Alger concentre ses attaques contre le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Sur l’autre rive, Paris estime que c’est l’Algérie qui a « choisi l’escalade », selon les mots de Jean-Noël Barrot. Depuis un peu moins d’un an, les deux pays se déchirent et la crise politique ne semble pas trouver d’issue. Après deux semaines d’une courte accalmie, la tempête a repris de plus belle.
Mardi, le président français Emmanuel Macron a décidé d’expulser douze agents consulaires algériens, une mesure « symétrique » à celle qu’Alger a prise lundi. La colère du gouvernement d’Abdelmadjid Tebboune trouve ses origines dans l’arrestation vendredi de trois hommes, dont un employé consulaire algérien. L’homme est accusé d’enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivie de libération avant le 7e jour, en relation avec une entreprise terroriste.
Délit de non-discrétion
Le gouvernement français n’a eu de cesse de marteler que l’affaire était policière et judiciaire et non politique. De son côté, le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, a promis qu’il n’y avait aucune « instruction politique reçue par les effectifs de police » et que l’enquête avait été menée « de manière extrêmement rigoureuse ». « La France a beau dire que la justice, il y a tout de même une question d’agenda », intervient Khadija Mohsen-Finan, politologue spécialiste du Maghreb et du monde arabe. « L’affaire date d’il y a un an, mais le fait qu’elle ressorte aujourd’hui dans les médias n’est pas anodin », explique-t-elle avant d’ajouter que « la justice aurait pu s’appliquer de manière beaucoup plus discrète ».
« L’Algérie a d’ailleurs eu de gros soucis sur la question des OQTF [obligations de quitter le territoire] avec l’Espagne en 2022 et ces tensions ont été réglées dans la plus grande discrétion ! » Après le soutien espagnol au plan d’autonomie marocain du Sahara occidental en mars 2022, Alger a en effet bloqué les expulsions de ses ressortissants. Fin 2024, les relations commerciales ont été rétablies au point qu’en février 2025, Madrid a qualifié l’Algérie de « partenaire clef ». Comment expliquer alors qu’une bisbille qui trouve la même origine ne parvienne pas à s’apaiser ?
Le jeu dangereux du « bras de fer »
« Que ce soit du côté algérien ou du côté français, il y a des courants politiques qui ne cherchent pas l’accalmie », lance Khadija Mohsen-Finan. En France, la politologue cite, évidemment, Bruno Retailleau mais aussi « Edouard Philippe, Gabriel Attal, Gérald Darmanin ». « Ce sont les représentants de la méthode forte. Ils visent la présidentielle de 2027, se projettent dans cette élection et jouent l’opinion en mettant en avant la sécurité et en disant ou en laissant croire que la sécurité de la France passe par le renvoi des personnes sous OQTF en Algérie », explique-t-elle.
Alger concentre d’ailleurs tous ses coups sur le ministre de l’Intérieur. Alors que la France assure qu’il n’y a « pas d’affaire Retailleau », l’Algérie fustige un homme qui voudrait « torpiller » les relations diplomatiques des deux pays avec son attitude « affligeante ». De son côté, le ministre assume un discours particulièrement critique de l’Algérie. Mardi, sur CNews, il a par exemple estimé qu’il était « vraiment inadmissible que la France soit un terrain de jeu pour les services algériens ». Pour Khadija Mohsen-Finan, il fait partie de ceux qui ont « joué le bras de fer », mais de l’autre côté de la Méditerranée aussi certains sabotent l’apaisement.
« En Algérie aussi de nombreux courants politiques voient d’un très mauvais œil les bonnes relations entre la France et l’Algérie, notamment l’aile radicale du FNL et certains nationalistes », explique Khadija Mohsen-Finan. L’histoire franco-algérienne a de toute façon été émaillée de nombreux incidents avec, en toile de fond, le traumatisme de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Aujourd’hui toutefois, Khadija Mohsen-Finan en est sûre : « Les deux Etats ont intérêt à calmer le jeu afin de préserver leurs intérêts économiques, stratégiques et en matière de population ». L’addition pourrait en effet être salée : 8 % du gaz consommé par les Français chaque année vient d’Algérie et un dixième du commerce extérieur de l’Algérie se fait en France.