« Pas des masses à gratter » sur la fraude fiscale, dit Moscovici… Vraiment ?


Interrogé sur le dérapage des finances publiques par BFMTV, Pierre Moscovici, le président de la Cour des comptes, explique avoir trouvé le remède miracle aux 40 milliards d’économie supplémentaires demandés par François Bayrou pour 2026 : « Autant sur les fraudes fiscales, on a fait beaucoup, je ne pense pas qu’il y ait des masses à gratter. Autant sur les fraudes sociales, cela représente 4,5 milliards par an. »

Selon lui donc, la fraude sociale, qui vise à se soustraire au paiement de cotisations sociales, est plus importante que la fraude fiscale, qui vise à échapper à l’impôt. Des chiffres et une interprétation qui vont contre l’ensemble des estimations des économistes, associations, et même de la Cour des comptes…

« Entre 80 et 100 milliards par an »

Si l’on s’en tient simplement aux chiffres du gouvernement, l’argument de Pierre Moscovici est déjà mis à mal. La ministre des comptes publics, Amélie de Montchalin, annonçait il y a quelques mois que 20 milliards d’euros de fraude avaient été détectés en 2024. La fraude fiscale en représentait plus de 80 % (16,7 milliards). Des chiffres qui ne représentent que la phase émergée de l’iceberg, soit les fraudes détectées par les services de recouvrement français.

Pour Dominique Plihon, économiste membre de l’association Attac et des économistes atterrés, cette fraude fiscale est ainsi largement sous-estimée : « C’est au minimum plus de 60 milliards par an. Mais nous, avec d’autres associations et ONG, on estime que ce chiffre serait plus proche des 100 milliards. » Une estimation reprise par le syndicat Solidaires Finances publiques – entre 80 et 100 milliards –, qui s’appuie notamment sur les chiffres officiels sur certains types de fraude, comme la fraude à la TVA, estimée entre 20 et 25 milliards par l’INSEE.

100 milliards de manque à gagner chaque année, cela permettrait par exemple de financer le budget de l’Education nationale (75,7 milliards en 2025) et de la justice (10,24 milliards). Pointer du doigt la fraude sociale, qui représente selon le Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) 13 milliards d’euros par an, est selon l’économiste un choix politique, la fraude fiscale étant « pratiquée par des classes sociales plus aisées, qui sont avant tout des alliés politiques. »

Fraude fiscale ou évasion fiscale ?

Plus largement, Dominique Plihon demande que le gouvernement s’attaque à l’évasion fiscale, dont les montants peuvent monter encore plus haut : « La fraude, c’est très simple, c’est tout ce qui est illégal. L’évasion, c’est essayer par tous les moyens de se soustraire à l’impôt, sans être nécessairement hors-la-loi. » Quand des particuliers ou des entreprises utilisent les moyens légaux à leur disposition pour ne pas payer d’impôts, on parle selon lui « d’optimisation fiscale agressive ».

Il est « nécessaire » selon lui de repenser les centaines de niches fiscales qui existent en France, utilisées à la fois par les particuliers et les entreprises : « L’objectif n’est pas de les supprimer mais de les passer en revue. » Une mesure évoquée par Amélie de Montchalin pour résorber le déficit public. Mais qui, encore une fois, déplaît à Pierre Moscovici. Il affirme que cela reviendrait à « augmenter les impôts ». Il avoue lui-même défiscaliser « pas mal » de ses revenus de président de la Cour des comptes (14.500 euros net par mois, auxquels s’ajoutent diverses pensions de retraite) grâce au crédit d’impôt pour l’emploi d’une personne à domicile.

Notre dossier Fake Off

Combattre l’évasion fiscale, c’est avant tout un enjeu de « justice fiscale » pour Dominique Plihon, qui regrette notamment la baisse constante des effectifs au sein de la Direction générale des impôts, avec 550 postes supprimés en 2025, alors que la DGI a perdu 25 % de ses effectifs depuis 2008. Pour justifier ce dépeuplement, les gouvernements successifs rappellent régulièrement l’évolution des moyens numériques, censés remplacer les inspecteurs des impôts. « Faux » pour l’économiste, qui rappelle que l’intervention humaine est nécessaire pour pousser ces innovations, et que « chaque agent de la DGI rapporte plus à l’Etat qu’il n’en coûte. »



Aller à la source