
29 avril 2025 à 09h11
Mis à jour le 29 avril 2025 à 15h08
Durée de lecture : 4 minutes
Séville (Espagne), reportage
Les étoiles ont rarement brillé avec autant de clarté sur Séville, dans le sud de l’Espagne. La place de la mairie était encore plongée dans la pénombre vers 23 heures, lundi 28 avril, alors que le courant était progressivement rétabli à l’issue de la plus grande panne électrique de l’histoire du pays. Toute la péninsule ibérique, à l’exception de Gibraltar, a été privée de courant, comme certaines parties du sud de la France, ce qui a fortement perturbé le quotidien des Espagnols et des Portugais. Les îles n’ont pas été touchées.
À 12 h 33, 15 gigawatts ont été perdus en cinq secondes sur le réseau espagnol. L’équivalent de 60 % de la demande électrique du pays. « Une chute au niveau zéro du système ne s’était jamais produite avant », a souligné le Premier ministre, Pedro Sánchez, dans sa seconde prise de parole de la soirée sur la « crise de l’électricité ». Le trafic aérien a été réduit de 20 %, 35 000 passagers sont restés bloqués dans des trains de longue et moyenne distance, les trams et métros ont cessé de fonctionner, comme les feux de signalisation. Les réseaux de communication ont aussi été largement affectés.
Circulation chaotique et magasins fermés
À partir du début d’après-midi, une atmosphère de flottement s’est installée dans tout le pays. « Quelqu’un sait où est Victor ? Si vous le croisez, dites-lui qu’il faut qu’il aille chercher le petit avant 16 heures au plus tard », demandait Maries, venue à l’espace de coworking fondé par le jeune papa, au centre de Séville, dans l’espoir de l’y trouver.
Impossible d’entrer en contact avec lui, internet ne fonctionnant plus que sur certains téléphones. Et de manière capricieuse. « Je quitte le bureau. Mais fais attention à tes affaires, toutes les portes sont restées ouvertes », prévenait peu avant 14 heures Aline, qui travaille dans le marketing digital.
Tout le monde savait déjà qu’il s’agissait d’une coupure de très grande ampleur, mais personne ne savait pour combien de temps. Comme dans beaucoup d’immeubles de la ville, les portes électriques du bas ne fonctionnaient plus, il fallait les laisser ouvertes avec un objet quelconque.
« Le pire, c’est l’arrêt des réfrigérateurs »
Dehors, hormis la circulation chaotique et une affluence peu habituelle à cette heure, tout semblait relativement normal. Caméra à l’épaule, un journaliste recueillait le témoignage du primeur, qui pliait déjà boutique vers 14 h 30, au pied d’un bloc de neuf étages. Impossible de prendre les paiements par carte, comme à la pharmacie voisine.
« Nous restons ouverts pour les patients qui ont besoin de produits en urgence. Mais pour le commerce, impossible ! On ne connait même pas le prix des articles dont on scanne normalement le code-barres. Le pire, c’est l’arrêt des réfrigérateurs. Certains produits, comme l’insuline, ne peuvent tenir. On parle de milliers d’euros de perte », disent Teresa et María Ángeles Fernández Rodriguez, deux sœurs qui gèrent l’officine.
Seul le supermarché du coin acceptait le paiement par carte, grâce à son groupe électrogène. Les queues y étaient anormalement longues et les chariots anormalement pleins pour un lundi après-midi. La plupart des clients achetaient de l’eau. Car au-dessus du troisième ou quatrième étage, les robinets étaient à sec, sans les pompes électriques qui garantissent une pression suffisante en temps normal. À la caisse, un client poussait un chariot rempli à ras bord de bouteilles… À 16 h 15, il n’y avait plus un pack en rayon. Certains se sont rabattus sur les sodas.
En milieu d’après-midi, ce supermarché n’avait déjà plus aucune bouteille d’eau à vendre. Des clients se sont rabattus sur les sodas.
© Alban Elkaïm / Reporterre
« Quel calvaire », se plaint une habitante au physique frêle en montant les escaliers jusqu’au quatrième étage de son immeuble, deux packs de bouteilles d’eau à la main. Au sixième étage, Pilar, 33 ans, est rentrée plus tôt du cabinet dentaire où elle travaille. « On n’a pas été prévoyants. On n’a pas encore fait notre sac avec le nécessaire pour tenir 72 heures en autonomie », s’amuse-t-elle. Tout le monde plaisantait sur le sujet au cabinet.
« Nous n’avons aucune information concluante pour le moment. Mieux vaut ne pas spéculer »
Des rumeurs prétendaient même que la France, l’Allemagne et la Belgique vivaient les mêmes coupures, préalables à une attaque. Globalement, pas de panique ou de crainte excessive, mais l’idée était dans tous les esprits. Depuis le début, les autorités espagnoles et portugaises ont dit ne pas écarter l’hypothèse d’une cyberattaque. « Nous n’avons aucune information concluante pour le moment. Mieux vaut ne pas spéculer. Aucune hypothèse ne peut être écartée », a dit Pedro Sánchez lors de sa première intervention, peu avant 18 heures.
En fin de soirée, la batterie de l’ordinateur sur lequel s’écrivait cet article est arrivée à épuisement. Je suis sorti dans les rues à la recherche de courant : un bar, qui avait miraculeusement du courant, m’a dépanné… et l’article a pu être achevé.
Le courant est revenu vers 1 heure chez Pilar. À 6 heures du matin, mardi, 99 % du réseau était de nouveau opérationnel selon l’opérateur espagnol, REE.
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