Fin février dernier, la Commission européenne a publié son projet de directive Omnibus. Celui-ci s’emploie notamment à revoir les exigences de trois textes majeurs en matière de durabilité s’appliquant aux efforts de transparence : la Directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), la Directive sur le devoir de vigilance ou CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) et la Taxinomie européenne.
Si ce texte doit encore faire l’objet d’échanges avant d’être entièrement adopté, il témoigne de la remise en question des enjeux ESG à l’échelle de l’Union européenne. La Commission européenne promettait en effet il y a quelques mois un « effort de simplification sans précédent » en vue de stimuler la croissance des investissements. Les actualités outre-Atlantique l’ont visiblement confortée dans cette direction.
Etat des lieux
En cas d’adoption de cette directive, les exigences de la CSRD ne concerneraient plus que les entreprises de plus de 1 000 salariés (dont soit le chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions d’euros, soit le bilan supérieur à 25 millions d’euros) : une réduction de 80% du spectre des entreprises initialement assujetties. Le projet de loi suggérait également de repousser de 2 ans les exigences de reporting pour les entreprises ne s’y étant pas encore exercées et qui devaient s’y plier en 2026 et en 2027 – ce qui vient d’être adopté par le parlement européen – ou d’abroger les standards de reporting (ESRS) sectoriels.
Le projet s’attaque également au devoir de vigilance (ou CS3D), dont l’adoption est encore récente. Le projet omnibus y allège notamment la fréquence des contrôles, passant d’une évaluation annuelle à une tous les cinq ans, et réduit les exigences pour les plus petites organisations. Là aussi, l’application est repoussée d’un an suite au vote du parlement européen.
Enfin, le projet de texte cible la Taxonomie, référentiel des activités économiques durables à l’échelle européenne. Il est question de réduire d’environ 70% le volume de données à déclarer, et de simplifier l’ensemble des critères de non-nuisance aux autres objectifs environnementaux ou DNSH (Do No Significant Harm) d’ici la fin de l’année 2025.
Un cadeau empoisonné ?
Cet effort de simplification massif ressemble de fait à une condamnation du cadre européen en matière de reporting ESG, pourtant relativement récent ; d’autant plus étonnant que ce n’était visiblement pas le souhait des entreprises assujetties.
En effet, selon une consultation menée par Makesense auprès de près de 300 entreprises, publiée mi-février 2025, si une grande majorité appelaient de leurs vœux des simplifications, seules 14% demandaient des modifications profondes et tout juste 8% plaidaient pour un report de deux ans. Les préoccupations pointaient plutôt du doigt le manque de guides, d’accompagnements, et d’aides publiques.
Ainsi, sous couvert d’une réponse pragmatique aux enjeux d’attractivité des entreprises, la directive omnibus ne serait-elle pas un cadeau empoisonné ? En contraignant les structures dans leurs déclarations extra-financières, en les incitant à comprendre leurs enjeux matériels et à s’organiser pour répondre à ces exigences, la directive CSRD pousse les acteurs vers davantage de résilience. Si sa simplification est actée, le répit sera de courte durée pour les entreprises qui finiront par faire face aux risques ESG, qui n’auront été que trop mal anticipés.
Et si moins de règles exigeait plus de responsabilités ?
Ce constat, de nombreux acteurs l’ont fait : l’espoir est donc encore permis.
D’abord parce que la responsabilité environnementale, sociale et sociétale des entreprises dépasse le périmètre réglementaire. Le secteur de l’immobilier, responsable de près de 36% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle européenne, et au premier plan de la protection des occupants face aux risques physiques, intègre cette responsabilité au-delà des objectifs réglementaires, grâce à des initiatives volontaires. Pour que les acteurs puissent porter une ambition commune et atteindre leurs objectifs respectifs, il faudra que chacun continue d’engager sa responsabilité sur une relative transparence quant aux enjeux ESG.
Ensuite parce que la simplification de ces directives représenterait une réelle opportunité de se différencier pour ceux qui le souhaitent. Les entreprises ayant fait l’effort sérieux d’intégrer les enjeux de durabilité à leurs pratiques se démarqueront par une meilleure anticipation des risques climatiques qui, eux, sont inévitables. Ce sera aussi l’occasion de construire ou rejoindre des réseaux d’acteurs qui souhaiteront s’engager dans la transparence et le dialogue, pour prolonger les efforts en matière de durabilité.
Enfin parce que certains vides laissés par la réglementation omnibus pourraient être comblés par les acteurs les plus engagés. En premier lieu, les standards sectoriels qui, s’ils ne sont plus définis par les institutions, devront être construits par des accords de place. Ces démarches profiteront aux acteurs s’attachant à devancer la réglementation collectivement pour bâtir une résilience face aux bouleversements à venir.
Parce que les risques liés aux crises environnementales et sociales qui montent ne se limitent pas à leur cadre réglementaire, et parce que les bénéfices d’une véritable anticipation dépassent de loin le simple enjeu de conformité, les acteurs de l’immobilier doivent s’engager ensemble pour dépasser les attentes législatives afin de construire une véritable résilience de place basée sur l’intelligence collective.
(*) Ingénieure de formation, diplômée de Centrale Paris, Marie Manach est passionnée par les sujets relatifs à l’immobilier durable et leur prise en compte par les acteurs du secteur. Au sein du département Conseil & Assistance à Maîtrise d’Ouvrage chez JLL, elle accompagne pendant 7 ans des acteurs de l’immobilier dans leurs projets de transformation d’actifs. Elle rejoint ensuite l’Observatoire de l’Immobilier Durable, où elle occupe aujourd’hui le poste de Directrice Adjointe.