En 1947, le plan Marshall permit à l’Europe de se reconstruire grâce à un effort stratégique venu de l’extérieur. Aujourd’hui, l’Union européenne doit en inverser la logique : mobiliser ses propres ressources pour financer ses propres défis, et en particulier assurer sa souveraineté économique et militaire. C’est un enjeu industriel, financier, logistique et de défense comme vient de le rappeler le Premier ministre : il nous faut un véritable plan de bataille.
Les équilibres qui prévalaient n’existent plus
Si jusqu’à présent, une part significative de l’épargne européenne est aujourd’hui investie à l’étranger, notamment en obligations souveraines américaines qui financent le déficit des Etats-Unis, le contexte politico-économique vient de changer brutalement. Nous ne traversons pas une crise conjoncturelle, mais un basculement structurel, un changement de paradigme profond. Les annonces de Donald Trump sur le commerce ne sont qu’un signal de plus dans un paysage international où la fragmentation se poursuit et l’organisation autour de grands blocs ne fait que se renforcer.
L’Europe ne pourra défendre son modèle social, environnemental et démocratique sans une base productive solide, sans autonomie énergétique, technologique et industrielle. La souveraineté économique européenne doit devenir un projet d’investissement structurant, fondé sur les secteurs critiques : défense, cybersécurité, technologies duales, infrastructures essentielles, transition énergétique, composants et matériaux stratégiques. Cela concerne l’ensemble des entreprises européennes, mais c’est auprès des startups, PME et ETI que les besoins en financement de croissance, d’innovation et d’internationalisation sont les plus cruciaux.
Une épargne qui investit dans l’avenir
Les PME de la défense pourraient bénéficier de l’épargne. La France peut jouer un rôle moteur dans cette nouvelle donne. Elle dispose d’un écosystème industriel et scientifique robuste, et surtout d’un atout majeur : le premier marché du capital-investissement de l’Union européenne. Fort de son ancrage sectoriel, le capital-investissement soutient déjà les ETI industrielles, finance les innovations stratégiques, et accompagne 20 % des entreprises de la Base industrielle et technologique de défense (BITD). Il est prêt à changer d’échelle. Et il pourrait renforcer son socle financier solide et fiable en orientant une partie de cette épargne vers l’économie productive européenne dans une logique volontariste et de long terme.
A l’échelle européenne, ce plan vertueux suppose une alliance raisonnée et bien comprise entre la puissance publique, les investisseurs institutionnels, les gestionnaires d’actifs non cotés, et les épargnants. Ce triptyque permettrait de canaliser l’épargne vers des projets concrets utiles à l’Europe, en donnant envie aux épargnants de contribuer à une plus grande diversification vers l’économie réelle, de financer l’innovation souveraine et les entreprises de croissance.
Être au rendez-vous de l’histoire
Un plan d’investissement européen de 500 milliards d’euros sur dix ans, articulé autour de véhicules de co-investissement, de garanties publiques et d’une vision stratégique, ne peut réussir sans ce renforcement massif de l’orientation à long terme de l’épargne européenne. C’est la condition de notre autonomie, de notre compétitivité et de notre capacité à affronter les transitions du siècle.
Ce projet n’est ni une utopie technocratique ni une simple déclaration d’intention. C’est une réponse lucide à un basculement d’époque. Il ne s’agit plus de réagir ou de s’adapter, mais de construire. Le capital-investissement français, catalyseur d’un capitalisme patient et engagé, est prêt à jouer tout son rôle dans cette ambition collective.
(*) Bertrand Rambaud est Président de France Invest et Président de Siparex, groupe de capital-investissement. Il accompagne et finance les startups, PME et ETI françaises depuis plus de 30 ans. Diplômé de l’EM Lyon, il a débuté sa carrière en 1991 en tant qu’investisseur dans le Groupe Siparex, puis comme Partner chez PwC au Département Transactions & Services de 1997 à 2002. Il retourne vers le métier d’investisseur au sein de Siparex dont il prend la présidence en juillet 2009. Il est par ailleurs administrateur de plusieurs sociétés.