À mesure que les enjeux climatiques occupent une place croissante dans le débat public, l’alimentation devient un terrain privilégié de vigilance écologique et c’est une évolution positive. Cependant, cette exigence de responsabilité s’accompagne parfois d’une autre tendance, plus problématique : une polarisation du discours, où certains produits sont érigés en symboles à éviter, souvent au prix d’informations trompeuses.
Parmi eux, l’avocat est devenu un « fruit coupable » : accusé de « consommer trop d’eau », de « voyager trop loin », ou « d’incarner une demande mondialisée jugée incompatible avec l’urgence environnementale ». Si ces critiques soulèvent des questions légitimes, elles méritent d’être replacées dans un cadre plus nuancé. L’impact environnemental d’un aliment ne peut se résumer à quelques chiffres isolés. La réalité de la production agricole, qu’elle soit locale ou mondiale, est infiniment plus complexe. Il ne s’agit pas de juger un fruit « bon » ou « mauvais », mais d’adopter une approche globale et éclairée.
L’importance de remettre les données en perspective
L’un des arguments les plus fréquemment avancés contre des produits comme l’avocat est leur empreinte hydrique, parfois citée comme un indicateur essentiel de leur impact écologique. Pourtant, cette donnée mérite d’être replacée dans son contexte. Dans plusieurs pays producteurs comme la Tanzanie, la Colombie ou le Kenya, l’avocat est cultivé dans des zones où l’irrigation intensive n’est pas nécessaire, l’agriculture reposant majoritairement sur les précipitations naturelles. De plus, les techniques agricoles modernes, comme l’irrigation au goutte-à-goutte ou encore l’agriculture de précision – qui utilise la technologie et les données pour surveiller et optimiser les intrants agricoles tels que l’eau et les engrais, permettent d’optimiser l’usage de l’eau et de réduire les pertes. Dans de nombreuses régions productrices, les agriculteurs adoptent également des pratiques de plus en plus durables, en phase avec l’évolution des normes environnementales et des attentes du marché.
Au-delà de la question de l’eau, le bilan carbone de l’avocat reste relativement modéré : avec environ 2,4 kg de CO₂ émis par kilo, il est comparable à celui de la fraise, de la prune ou de la framboise et deux fois inférieur à celui de la mangue. Comme la plupart des aliments d’origine végétale, l’avocat affiche une empreinte carbone bien plus basse que celle des produits d’origine animale, tels que la viande, les produits laitiers, le chocolat ou même l’huile d’olive.
Et ce constat dépasse largement le cas de l’avocat. Certains produits locaux, souvent perçus comme plus « verts », peuvent afficher une empreinte carbone ou hydrique bien plus élevée. C’est le cas, par exemple, des cultures sous serre chauffée ou fortement irriguées. À l’inverse, des fruits importés par bateau – l’un des modes de fret les moins polluants – peuvent s’avérer plus sobres en émissions : jusqu’à 25 fois moins que le transport routier, et 145 fois moins que le fret aérien. Ainsi, un fruit expédié par bateau depuis l’Amérique latine, comme l’avocat, peut, contre toute attente, avoir un impact environnemental inférieur à celui d’un fruit cultivé localement sous serre chauffée.
Repenser les modèles agricoles
Évaluer l’impact écologique de notre alimentation implique de considérer l’ensemble de la chaîne : des modes de production aux pratiques agricoles, en passant par le transport et les habitudes de consommation. Il ne s’agit pas de désigner un aliment comme bouc émissaire, mais de comprendre les systèmes agricoles dans leur ensemble.
L’enjeu est là : comment concilier durabilité, nutrition et justice sociale ? Plutôt que de céder à des simplifications hâtives, il est temps d’encourager un dialogue ouvert sur les modèles à promouvoir : des modèles transparents, innovants et respectueux des écosystèmes. Car au fond, les fruits et légumes, quelle que soit leur provenance, reflètent les pratiques agricoles mondiales qu’il nous faut réinterroger collectivement.
Dans les pays producteurs clés, notamment en Amérique latine, l’avocat n’est pas un symbole de dérive, mais un levier de développement. Au-delà de son succès commercial, ce fruit constitue une source de revenus essentielle pour de nombreux petits exploitants agricoles, contribuant à stabiliser leurs moyens de subsistance en zones rurales. Cette filière en pleine croissance favorise également l’adoption de pratiques agricoles plus durables, avec un nombre croissant de producteurs se tournant vers le bio et l’agriculture à faible impact. Le secteur de l’avocat soutient en outre activement des projets de reforestation et d’agroforesterie, qui permettent de préserver des écosystèmes précieux. En combinant production agricole et restauration écologique, ces initiatives contribuent à la santé des sols, à la biodiversité, et à la lutte contre le changement climatique, tout en dessinant un modèle d’alimentation durable, bénéfique à la fois pour la planète et pour les populations.
Vers une écologie plus nuancée
Il ne s’agit pas ici d’absoudre un fruit de tout impact, mais de le replacer dans un débat plus vaste sur la durabilité alimentaire. Le mode de culture, le transport, la gestion des ressources : tous ces éléments façonnent l’empreinte écologique d’un aliment. Pour consommer de façon plus responsable, nous devons résister aux jugements simplistes, et rechercher des perspectives documentées et rigoureuses. Cela passe, pour les consommateurs, par le recours à des sources fiables, la recherche de labels indépendants ou d’analyses d’impact environnemental, ainsi qu’une veille active sur les avancées scientifiques et les bonnes pratiques agricoles.
La transition écologique ne passe pas par la culpabilisation, ni par une opposition caricaturale entre local et global. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’une écologie du blâme, mais d’une écologie de la nuance fondée sur les faits, les données, et une vision systémique. Une écologie qui éclaire plutôt qu’elle ne condamne. Une écologie qui guide vers une consommation durable, plutôt qu’une consommation réduite, qui risquerait de générer de nouveaux déséquilibres économiques et sociaux.
Il est temps de replanter les faits au cœur du débat. Loin du « luxe coupable » auquel on le réduit parfois, l’avocat peut incarner une agriculture en transition, au croisement des enjeux environnementaux, nutritionnels et économiques.
(*) Zac Bard est un spécialiste de l’avocat et travaille dans ce secteur depuis plus de 25 ans. Titulaire d’une licence en sciences agricoles de l’Université du Natal (Afrique du Sud), il obtient un Master de Sciences en horticulture, avec une spécialisation en avocats. Il détient aussi un MBA de l’université d’Afrique du Sud. Il travaille pour Westfalia depuis 23 ans et a occupé divers postes, dont celui de PDG de Westfalia fruit Africa. Il nourrit surtout une passion profonde pour l’environnement et les communautés au sein desquelles il travaille. Il est à l’origine de nombreux projets durables et réussis, qui ont transformé positivement la vie de nombreuses communautés tout en créant des filières de production de fruits, notamment d’avocats, reconnues à l’international. Zac a joué un rôle central dans la création de la WAO, dont les premières discussions remontent à 2007, avec pour objectif de structurer et développer l’industrie mondiale de l’avocat. En 2022, il s’est vu décerner le Golden Avocado Award par l’industrie sud-africaine de l’avocat pour l’ensemble de sa contribution au secteur.