L’Europe se trouve à un moment décisif de son histoire. Face à la montée en puissance des technologies disruptives, de l’intelligence artificielle à la bio-ingénierie, elle ne peut plus se permettre d’être spectatrice. Le choix est clair : innover ou disparaître. Cette alternative, défendue par Gary Shapiro, président du CES de Las Vegas, s’impose aujourd’hui comme un impératif stratégique.
Dans un monde en mutation permanente, le véritable leadership repose sur l’anticipation. Il ne s’agit plus simplement de réagir à une crise, mais de détecter les signaux faibles, d’expérimenter en continu et de cultiver une culture de l’évolution. Les entreprises qui réussissent sont celles qui savent pivoter avant même que le changement ne s’impose. Netflix, Amazon ou Tesla en sont des exemples emblématiques. À l’inverse, Kodak ou Nokia illustrent ce qui arrive à ceux qui s’accrochent au statu quo.
Gary Shapiro identifie quatre types de pivot : celui des startups, qui jonglent entre intuition et rationalité ; le pivot forcé, imposé par une crise ; le pivot de l’échec, qui devient tremplin d’innovation ; et enfin le pivot du succès, le plus difficile, mais aussi le plus visionnaire. Amazon Web Services en est la preuve : oser se transformer au sommet de sa réussite qui permet de dominer des marchés nouveaux.
L’Europe, quant à elle, souffre d’un syndrome de rattrapage. Trop souvent en réaction aux innovations américaines ou chinoises, elle multiplie les régulations au lieu d’initier les ruptures. Il est temps d’en finir avec cette posture défensive. L’Europe doit redevenir prescriptrice, non suiveuse. Cela passe par la création d’observatoires technologiques interconnectés, des fonds souverains pour l’innovation de rupture, et des zones d’expérimentation audacieuses. Il ne lui manque rien, sauf l’essentiel : la vision.
Il faut également repenser nos modèles économiques, surtout nos modèles éducatifs et culturels. Ouvrir les organisations à l’intelligence collective, décloisonner les disciplines, intégrer les « soft skills » dans l’éducation, valoriser l’échec et encourager le droit à l’expérimentation. Dans un monde où la connaissance est accessible à tous, apprendre et partager sont devenus des actes politiques.
Enfin, l’innovation européenne doit s’allier à l’éthique. L’Europe peut incarner une voie humaniste face aux dérives potentielles du numérique. Normes sur la transparence des algorithmes, régulation co-construite avec les innovateurs, fonds pour les projets à impact : autant de leviers pour bâtir un numérique responsable.
Le basculement est en cours. Il est surtout technologique, mais aussi culturel, organisationnel, civilisationnel. L’Europe ne peut plus attendre. Elle doit retrouver l’audace d’inventer le futur. Le monde n’attend pas. C’est maintenant que tout se joue et doit avoir une vision à 20 ans pour un plan d’action à 20 semaines.
(*) Xavier Dalloz dirige depuis plus de 30 ans le cabinet Xavier Dalloz Consulting (XDC), spécialisé dans le conseil stratégique sur l’intégration des nouvelles technologies dans les entreprises. Il enseigne également à l’ICN Business School, partageant son expertise avec les futurs leaders du numérique. Parmi ses engagements récents, il a co-organisé le World Electronics Forum (WEF) à Angers en 2017, Grenoble en 2022 et Rabat en 2024. Il a également introduit et animé le WEF lors du CES 2023 à Las Vegas, à la demande de la CTA.