Dès le 10 avril, le commerce entre les É.-U. et la Chine a progressivement, mais irrésistiblement, cessé. Les réservations de cargos se sont, en fait, effondrées dans la foulée de « Liberation Day ». Un container met 30 jours pour faire le trajet maritime vers Los Angeles depuis la Chine, et 55 jours pour arriver à New York. C’est donc vers le 10 mai prochain que les effets économiques commenceront à se faire sentir, et que le transport routier (profession cruciale et très influente aux États-Unis) subira une halte… par maque de marchandises à acheminer. Les entrepôts et autres lieux de stockage devront procéder à des licenciements, suivis par les ports. C’est Los Angeles qui sera la première à en pâtir, suivie deux semaines plus tard par Chicago, Houston, New York…
Cette calamité ne pourra même pas être évitée dans l’hypothèse la plus favorable (et la moins vraisemblable) où les droits de douane sont purement et simplement abandonnés, car c’est 30 jours supplémentaires qui seront nécessaires pour que l’activité économique américaine puisse redémarrer. À Los Angeles. Quelques semaines plus tard encore à Chicago et à New York.
Mes calculs et propos sont-ils outranciers ?
Souvenons-nous des confinements, où nous avons appris à nos dépens que l’activité met beaucoup, beaucoup, de temps à se remettre en ordre de bataille. Les É.-U. se retrouvent comme passagers dans un véhicule sur le point de se prendre une collision frontale que nul ne peut éviter, car il est à présent trop tard pour freiner. Ce, à condition bien sûr, que la Chine et que les États-Unis reprennent leurs relations commerciales, comme s’il rien ne s’était passé.
Entre nous, pourquoi un pays comme la Chine reviendrait au « business as usual » avec un pays ayant tenté de l’asphyxier, et de l’humilier sur la place publique ? Juste, car il a échoué ? Moi qui connaît les Américains — et qui les aime —, il me semble néanmoins qu’ils ne sont — tant intellectuellement que matériellement — nullement prêts à être sur le banc des attaqués et des mis en cause au vu de ce qui se profile.
Aujourd’hui,c’est la Chine qui veut réduire ses relations avec eux
C’est la Chine qui dé-dollarise. C’est de Chine que monte cette clameur poussant au fameux découplage de son économie. En prenant de cette manière en otage la Chine, les États-Unis n’ont fait qu’accélérer ces phénomènes dont la quasi-totalité des économistes, des analystes et des politiciens disaient qu’ils se produiraient bien un jour…mais plus tard, n’est-ce pas ? Avec un bonus pour la Chine : ça lui coûte bien moins cher de se détacher à tous ces niveaux et de suite des États-Unis, tant sur le plan pécuniaire que sur celui de sa réputation.
Pour les États-Unis, le compte à rebours a commencé
Les pénuries sont à venir, comme hélas, les fermetures d’usines qui manqueront de pièces détachées et de sociétés en manque de commandes. Leur secteur de la défense lui-même en subira les effets et comprendra à quel point certaines terres peuvent être rares. Le plus triste, pourtant, sera le sort des petites entreprises — dont certaines marques de grande qualité et d’excellente renommée — qui feront faillite cette année, car elles n’auront pas la possibilité de délocaliser hors de Chine. Écrasées par les géants US qui iront dans des pays comme le Vietnam, elles seront les dernières servies — si toutefois elles le sont tout court ? — par ces nouvelles chaînes de production qui accorderont évidemment la priorité aux méga entreprises américaines. Ces petites et moyennes entreprises seront vraisemblablement rachetées par la Chine qui tirera force bénéfices de prestigieuses marques ayant mis des décennies à rivaliser en créativité afin de s’imposer dans leur secteur.
Cette analyse se passe de conclusion, tant l’auteur est sonné par ce qui s’annonce.
(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales, écrivain. Il publie aux Editions Favre « Une jeunesse levantine », Préface de Gilles Kepel. Son fil Twitter.