
Une nouvelle nuit de violences contre des personnels pénitentiaires. Vers 2h20 ce mercredi à Villenoy, en Seine-et-Marne, un cocktail Molotov a été lancé sur un bâtiment où réside un surveillant de la maison d’arrêt de Chauconin-Neufmontiers. Sa voiture, garée sur le parking, a aussi été dégradée. Un tag « DDPF » a été découvert dans le hall de l’immeuble. Trois heures plus tard, à environ 700 km plus au sud, trois véhicules stationnés devant la prison de Tarascon, dans les Bouches-du-Rhône, ont été incendiés. Et la voiture d’un agent du centre pénitentiaire d’Aix-Luynes a été brûlée devant son domicile.
Ces trois affaires ont été récupérées par le parquet national antiterroriste, déjà chargé de faire la lumière sur une série de faits similaires survenus depuis dimanche. Les investigations ont été ouvertes pour « participation à une association de malfaiteurs terroriste » et « dégradation ou détérioration en bande organisée du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes en relation avec une entreprise terroriste », indique-t-il dans un communiqué transmis à 20 Minutes. Elles ont été confiées à la Sdat (sous-Direction antiterroriste), à la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) et aux services locaux de la police judiciaire.
La piste de l’ultra gauche s’éloigne
Les policiers tentent toujours de découvrir qui se cache derrière le « DDPF », cette mystérieuse organisation dont le sigle a été découvert à plusieurs reprises au cours des trois dernières nuits, tagué à proximité des prisons ciblées. A Villepinte (Seine-Saint-Denis), Valence (Drôme), Réau (Seine-et-Marne) ou Nanterre (Hauts-de-Seine), plusieurs véhicules ont été incendiés. Plus grave, la porte de la prison de Toulon-La Farlède a été criblée de 15 impacts de tirs de kalachnikov.
Dans un premier temps, les enquêteurs ont cru déceler dans ces attaques la marque de l’ultragauche. En 2017, des groupuscules issus de cette mouvance avaient revendiqué l’attaque de brigades de gendarmerie à Limoges et Grenoble. L’ombre de l’ultra gauche a également plané en septembre dernier sur une série de sabotages plus ou moins réussis visant des lignes de trains à grande vitesse. Une source policière, interrogée par 20 Minutes, estimait cette piste « probable ». Mais un élément a particulièrement fait douter les enquêteurs : l’utilisation d’une arme de guerre pour ouvrir le feu sur la prison de Toulon-La Farlède.
« Ça ne ressemble pas au style de l’ultragauche. Elle n’utilise jamais de kalachnikovs », explique à 20 Minutes Christophe Bourseiller, historien et journaliste, spécialiste des courants minoritaires. Il ajoute que la mouvance est composée de « petits groupes localement enracinés » qui ne se coordonnent pas entre eux. Ce qui, dit-il, ne colle pas avec le « caractère national » des attaques recensées. « Ils peuvent frapper dans le sud, mais ils ne frapperont pas au même moment dans le nord. » Enfin, le nom du groupuscule – DDPF pour « défense des droits des prisonniers français » – « ne cadre pas avec la rhétorique de l’ultragauche ». « C’est contraire à leurs idées car l’ultragauche est internationaliste. Pour eux, les prisonniers n’ont pas de frontières, ils sont de tous les pays. C’est plutôt poujadiste », souligne-t-il.
Une « guerre » déclenchée par Darmanin
Le ministre de la Justice, de son côté, estime que ces attaques sont une réponse de la « criminalité organisée » à sa décision de regrouper les détenus les plus dangereux dans des prisons de haute sécurité. « Ils le font parce que nous prenons des mesures contre le laxisme qui existait peut-être jusqu’à présent dans les prisons, qui a mené notre pays à des difficultés extrêmement graves, des réseaux de drogue qui continuent à partir des cellules carcérales », a déclaré sur CNews Gérald Darmanin. « C’est une intimidation grave et on essaie de voir si l’Etat va reculer, c’est ça qui se passe », a-t-il ajouté. Une hypothèse partagée par Christy Nicolas, le secrétaire général du Syndicat pénitentiaire des surveillants (SPS). « Leur motivation est claire, ils veulent que l’Etat fasse marche arrière sur les établissements de haute sécurité », affirme-t-il à 20 Minutes.
Sur Telegram, un groupe nommé « Défenses des prisonniers français » (sic) a confirmé que ces attaques étaient une réplique aux mesures prises par le garde des Sceaux qui portent atteinte aux « droits fondamentaux » des détenus. « Sachez que nous sommes [sic] pas des terroristes, nous sommes là pour défendre les droits de l’homme à l’intérieur des prisons », écrivait mardi le groupe sur un canal suivi par près de 1.400 personnes. Dans ses messages, il dénonce la réduction du temps de promenade des prisonniers, le coût « faramineux » des communications téléphoniques, la « suppression des activités diverses » annoncées par le ministre de la Justice en février dernier, les « fouilles humiliantes ». Et estime que Gérald Darmanin a « déclenché » la « guerre ».
« Le moral des collègues est à zéro »
Le groupe pointe aussi les violences que commettraient sur les détenus des surveillants pénitentiaires et menace les agents de plusieurs établissements, notamment celui d’Aix-Luynes. Ses administrateurs n’ont pas répondu à nos sollicitations.
« Les surveillants ne font que leur travail, ni plus ni moins. On applique la réglementation », répond à 20 Minutes le représentant local du syndicat FO-Justice. « Le moral des collègues est à zéro, ils se sentent très peu soutenus. Même si la police surveille désormais les entrées, il y a un sentiment d’insécurité qui s’est installé car les agents craignent d’être visés à l’extérieur. On attend des mesures fortes de notre administration, qui n’a pas pris conscience que la nouvelle génération est devenue très dangereuse, poursuit-il. J’attends comme tout le monde les résultats de l’enquête, en espérant qu’elle sera résolue le plus rapidement possible car les agents sont dans la tourmente. Si ça continue comme ça, il y a aura peut-être des blocages. »
« De pressions importantes de la part du milieu »
Chez les trafiquants, les armes parlent en général pour se venger ou pour prendre un point de deal. Les motivations du crime organisé sont pécuniaires, et pas vraiment politiques. Pourrait-il vraiment s’attaquer aux prisons pour en dénoncer les conditions d’incarcération ? « On peut imaginer que c’est une réaction aux prisons de haute sécurité, on voit bien que ça ne plaît pas. Mais c’est un peu bizarre qu’il y ait des mouvements concertés comme ça. Cela ferait penser à des choses qu’on peut voir au Mexique par exemple, avec des actions de représailles visant les forces de l’ordre. Ce serait un peu une première en France », explique à 20 Minutes le journaliste Brendan Kemmet, auteur de plusieurs livres sur des figures du banditisme.
« Cela peut-être aussi un mouvement d’humeur, de défi, plus ou moins concerté sur les réseaux sociaux », poursuit Brendan Kemmet. Il n’exclut pas non plus, dans certains cas, un « phénomène de mimétisme, de surenchère, comme cela existe entre certains quartiers avec les voitures qui brûlent lors du Nouvel An ». « Mais c’est vrai que le monde pénitentiaire fait l’objet de pressions importantes de la part du milieu, souligne-t-il. On l’a vu avec les menaces de morts proférées contre des responsables de la prison des Beaumettes. »
« On ne peut pas exclure d’autres hypothèses »
« Si Gérald Darmanin a raison, il trouve là une justification très forte à son positionnement politique et à sa posture, affirme de son côté à 20 Minutes le journaliste Frédéric Ploquin *. Parce que si des voyous attaquent des prisons dans toute la France par rapport aux mesures qu’il a prises, d’une certaine manière, ça le conforte. Ça veut dire qu’il ne s’est pas trompé et qu’il est vraiment en train d’imaginer une prison qui va empêcher des trafiquants de stupéfiants de continuer à faire leur business depuis leurs cellules. »
« On ne peut pas exclure d’autres hypothèses », insiste Frédéric Ploquin qui appelle à être « hyperprudents ». Les enquêteurs n’écartent pas la piste d’une manipulation venue de l’étranger. « Dans tous les cas, c’est une affaire importante », souligne le journaliste. Qui se demande : « pourquoi les services de renseignement n’ont pas vu venir cette opération ? ».
* « Braqueur, mercenaire, aventurier, de l’OAS au grand banditisme », de Jean-Louis Rizza avec Frédéric Ploquin, sorti le 26 mars 2025, éditions du Nouveau Monde, 288 pages, 20,90 euros.