
Toute jeune, Fatouma n’aurait pas refusé un bébé. Mais, pas né d’un mariage en Algérie, arrangé par son père. Perpignanaise de naissance, elle a toujours préféré vivre ses propres choix. À 46 ans aujourd’hui, affairée à aider des jeunes déscolarisés, délinquants, elle se félicite de ne pas être devenue mère.
Fatouma a le déclic dans sa jeunesse. « Avant, j’espérais des enfants. Six, trois filles et trois garçons. Puis, j’ai vite compris que je n’en ferai jamais », assène-t-elle. Entre-temps, entourée de jeunes proches parents, elle ne s’imagine franchement pas à leur place. « Juste l’idée de porter un enfant dans mon ventre m’effraie. Le H24, m’en occuper 7 jours sur 7, biberon, école, soin, assurer sa sécurité, tout me fait peur », assume la quadragénaire. Pas coupable de ne pas « me sentir capable ».
Responsable à Perpignan d’une association d’aide et de secours aux personnes de la rue, et notamment « des petits durs que je passe ma vie à accompagner au tribunal », Fatouma découvre les noirceurs de l’existence. Elle s’occupe de gamins « venus d’Algérie en barque, d’autres pas encore ados et déjà en prison. » Elle remercie Dieu « tous les jours » d’avoir refusé un mariage arrangé par son père qui aurait débouché sur une « ribambelle de petits ». D’avoir eu la force de revenir s’installer en France. « Dans ma famille, mes frères et sœurs sont tous mariés selon la tradition arabe, ils ont plein d’enfants. Moi, je n’ai pas de patience, les mômes me saoulent. » Éduquée « à la maghrébine » comme elle dit, Fatouma ne se voile pas la face. Elle porte la double pression de ses racines et de la société « très exigeantes envers les femmes. Elles nous imposent de procréer », s’offusque-t-elle.
Rebelle dans l’âme, elle se sent marginale mais courageuse. « Ma décision, je la revendique. Inutile de me juger, je ne regrette rien, je n’ai pas eu envie de faire une racaille de plus ou un gosse malheureux. » D’où sa hantise, tomber enceinte. « Je suis sous pilule, mais si ça arrivait par accident… » Elle n’ose y penser. « Chez nous, on ne touche pas au corps humain », lâche-t-elle sans prononcer le mot interdit, l’avortement. « Je suis faite pour soutenir les gens dans la misère, qui me font tant de chagrin ». Cette vie solidaire, partagée avec son chat Clochard, suffit à son bonheur.
« On vit dans un monde de galère, à la crèche, le harcèlement, les coups de couteau et toutes ces agressions de gosses, c’est affreux », mesure-t-elle, le cœur en peine. Éplorée pour ces petites victimes comme pour les femmes désireuses d’enfanter, en vain. « C’est tellement injuste », s’attriste-t-elle, en pensant à son ex-compagnon. Il souhaitait être père, il l’a quittée. Fatouma s’émeut de ces nourrissons et de leurs aînés placés en foyer. « Mon daron a 85 ans, un petit-fils de plus avant de mourir l’aurait rendu heureux. Mais, non. Un de mes frères a dû épouser sa propre cousine, c’est un truc, moi, je ne peux pas. » Même adopter, elle refuse. « Voir la génération actuelle grandir comme des enfants rois, non merci. »