Transition énergétique : la difficile cohabitation des éoliennes et des oiseaux

Le 7 avril dernier, EDF Renouvelables, exploitant 31 éoliennes installées sur le causse d’Aumelas dans l’Hérault (classé en zone Natura 2000 dix après son entrée en fonctionnement), mais aussi son directeur général Bruno Bensasson, étaient condamnés par le tribunal correctionnel de Montpellier pour destruction d’espèces protégées. La justice a tenu les éoliennes pour responsables de la mort de 160 oiseaux et chauve-souris, dont de nombreux faucons crécerellette, espèce protégée menacée d’extinction.

C’était alors la première fois que la responsabilité pénale d’un exploitant éolien était engagée pour ce type de faits. Le 9 avril, c’était au tour de ERL-Valeco et de son gérant, François Daumard, d’être condamnés pour la même raison, un aigle royal retrouvé mort en janvier 2023 au pied d’une des éoliennes du parc de Bernagues à Lunas (Hérault). Tous font appel.

EDF Renouvelables avait concédé un taux de mortalité de quatre à cinq individus par an, et de deux faucons en 2024 sur le site d’Aumelas, arguant néanmoins s’être « doté des derniers équipements de pointe avec un investissement d’un million d’euros en 2024 pour un nouveau système de détection et d’arrêt machine ». En l’occurrence le système de détection automatique (SDA) de suivi d’avifaune et de réduction du risque de collision d’oiseaux DTBird (fabricant madrilène). Quant au parc de Bernagues, il était équipé du SDA ProBird de l’entreprise héraultaise Sens of Life.

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Absence de perte nette de biodiversité

« L’aigle de Bernagues a été détecté et on était à 1,9 rotation par minute au moment de la collision, ce qui est faible mais a quand même généré la mortalité de l’oiseau », détaille Christophe Albarran, directeur biodiversité et relations publiques chez Sens of Life, qui a développé ProBird.

Les exploitants de parcs éoliens peuvent solliciter une dérogation pour la destruction d’espèces protégées, ce que n’avaient pas fait EDF Renouvelables ni ERL-Valeco. Mais impossible pour les exploitants, de s’exonérer des mesures d’évitement et de réduction si leur parc éolien a un impact sur des espèces protégées.

« Estimer la mortalité des oiseaux due aux éoliennes est compliqué, mais on a renforcé ces suivis et on fait en sorte de les rendre robustes, avec un protocole qui s’impose depuis 2018, indique Geoffroy Marx, spécialiste du programme ENR et biodiversité à la LPO (Ligue de protection des oiseaux). La réglementation demande d’atteindre une « absence de perte nette de biodiversité », c’est-à-dire éviter les impacts, réduire ceux qui ne peuvent être évités, et compenser les impacts résiduels. »

Lourd tribut pour les rapaces

Le spécialiste de la LPO insiste : « L’impact des éoliennes dépend de leur localisation. Les premières, dans les années 1990 en France, n’étaient pas soumises au même droit de l’environnement et les études d’impact étaient légères. Les zones Natura 2000 n’existaient pas. Or aujourd’hui, en Occitanie, 28 % des éoliennes sont en zones Natura 2000 avec de gros enjeux sur les grands rapaces ».

Proportionnellement aux effectifs de populations, ce sont bien les rapaces qui paient le plus lourd tribut « car ils nichent souvent autour des éoliennes, ce qui nuit à leur reproduction », précise Geoffroy Marx. C’est aussi problématique pour les cigognes noires ou l’outarde canepetière. La LPO préconise évidemment les systèmes de détection et de bridages des éoliennes. Deux entreprises héraultaises conçoivent des SDA : Sens of Life et Biodiv-Wind.

« ProBird peut détecter un aigle à plus de 1 000 mètres dans bonnes conditions de visibilité, un faucon crécerellette à un peu plus de 600 mètres, explique Christophe Albarran chez Sens of Life. On réduit alors la vitesse du rotor à moins de trois rotations par minute. »

ProBat, pour les chiroptères, envoie des micro-ultrasons permettant de détecter les chauves-souris « dans le meilleur des cas à 200 mètres de l’éolienne, à une dizaine de mètres pour les plus difficiles à capter ». Sens of Life revendique 650 éoliennes équipées (340 ProBird et 310 ProBat). L’entreprise propose également un bridage prédictif des éoliennes, en se calant, grâce à des capteurs, sur les paramètres météorologiques favorables à la sortie des chiroptères.

Biodiv-Wind n’a pas répondu à nos sollicitations. Son SDA SafeWind engage des actions d’effarouchement acoustique ou de ralentissement des éoliennes. En 2020 déjà, l’entreprise revendiquait « une base de données de plus d’un million de vidéos qualifiées par des ornithologues » pour entraîner ses modèles IA. Biodiv-Wind a aussi mis au point BirdSentinel pour l’étude de l’activité aérienne de la faune diurne, AudioBat pour la détection acoustique des chauves-souris, et XBird Radar pour une détection à longue distance des oiseaux en vol. Soit 756 éoliennes équipées dans 12 pays en Europe et huit millions de détections d’avifaune et de chiroptères revendiquées.

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Pas de réussite à 100  %

Mais à la LPO, Geoffroy Marx regrette que les SDA soient évalués sur leur capacité à identifier les oiseaux et à déclencher une action mais pas sur leur efficacité, assurant qu’« on surestime leur capacité ».

« Nous avons un retour d’expérience depuis 2015 et 2016 sur ProBird et ProBat, et nous avons obligation de fournir un rapport annuel de fonctionnement, répond Christophe Albarran. Sur les chiroptères, le taux de préservation est supérieur à 92 % de mortalité évitée. Sur ProBird, les données sont tellement diverses d’un parc à l’autre qu’une moyenne n’aurait pas de sens. Nous avons enregistré de la mortalité d’oiseaux sur six parcs, dont un avec deux oiseaux, un Milan et une buse… Le SDA réduit les collisions mais ne les empêche pas à 100 %. »

La France s’est dotée d’un Observatoire des EnR et de la biodiversité dont les premières rencontres auront lieu à Paris les 12 et 13 mai prochain.

« On est loin du far-west ! »

Au Syndicat des énergies renouvelables (SER), on estime qu’une centaine des 2 900 parcs éoliens en France est équipée de SDA.

« Les éoliennes sont couvertes par la réglementation ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement, ndlr) et soumises à des études d’impact, notamment faunistique, avec comme principe de base la réduction de l’impact, rappelle Alexandre Roesch, délégué général du SER. Concernant l’avifaune, les exploitants font attention aux couloirs de migration mais aussi au dimensionnement des pales dès la conception. »

Il souligne que « ce n’est pas parce que l’oiseau se dirige vers la zone balayée par la pale qu’il y aura collision », évoquant une étude de Biodiv-Wind (juin 2023) sur la détection de Milan royal, « qui a étudié près de 600 000 vidéos pendant quatre ans sur 250 éoliennes, avec comme résultats 734 traversées de rotors dont 30 qui aboutissent à une collision, létale ou non ».

Alexandre Roesch plaide la nécessité d’analyser chaque projet dans sa globalité : « En France, on ne pose pas la question de l’impact sur l’environnement de l’extraction, du transport et du raffinage des énergies fossiles… Dans l’éolien, on doit éviter les couloirs migratoires, les zones d’entraînement militaire à basse altitude et les zones protégées, et se positionner à plus de 500 mètres d’une habitation. L’agrégation de toutes ces contraintes nous oblige à une logique de compromis pour trouver le meilleur équilibre ».

S’il se refuse à commenter les récentes décisions de justice, le délégué général du SER craint que la multiplication des actions en justice intentées contre des projets éoliens ne finisse par décourager les investisseurs : « Le risque zéro n’existe pas et aujourd’hui, on va chercher la responsable pénale des dirigeants ! Il y a une attente d’exemplarité totale sur les énergies renouvelables en France… Pourtant, on est loin du far-west ! ».

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