On ne les voit pas, on ne les sent pas, et pourtant ils sont là. À chaque seconde, des milliards de neutrinos traversent notre corps, nos murs, notre planète… sans jamais s’arrêter. Ces particules quasi invisibles, omniprésentes dans l’univers, sont depuis des décennies l’un des plus grands casse-têtes de la physique moderne. Et l’un de leurs plus grands mystères vient peut-être de se réduire un peu plus : leur masse.
Petits, discrets, mais essentiels
Les neutrinos sont les particules les plus abondantes de l’univers, mais aussi parmi les plus difficiles à détecter. Dépourvus de charge électrique, n’interagissant que très faiblement avec la matière, ils traversent les objets comme des fantômes. Cette invisibilité rend leur étude particulièrement complexe, mais pas moins essentielle. Car ces minuscules particules pourraient détenir des réponses majeures sur la structure même de l’univers.
Problème : pendant longtemps, on les croyait totalement dépourvus de masse. Le Modèle standard de la physique des particules, qui décrit le comportement de toutes les particules connues, ne prévoyait aucune masse pour les neutrinos. Une hypothèse que les observations ont fini par contredire. Reste à savoir combien ils pèsent réellement. C’est là qu’intervient KATRIN.
Une expérience titanesque
Plutôt que de traquer les neutrinos eux-mêmes — mission quasiment impossible —, les chercheurs de KATRIN ont choisi une approche indirecte. Ils étudient le tritium, un isotope radioactif de l’hydrogène. Lorsqu’il se désintègre, il se transforme en hélium-3 en émettant un électron et un antineutrino.
L’idée est simple : en mesurant très précisément l’énergie des électrons émis, on peut déduire l’énergie manquante… celle emportée par l’antineutrino. Et donc, sa masse. L’exécution, elle, est bien plus complexe : KATRIN repose sur un spectromètre de 200 tonnes et une structure de 70 mètres de long, conçue pour atteindre un niveau de précision jamais égalé dans ce domaine.
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36 millions d’électrons analysés… pour affiner l’invisible
La dernière série de mesures de KATRIN s’est appuyée sur 259 jours d’expérimentation et a permis d’analyser 36 millions d’électrons. Grâce à cette quantité phénoménale de données, les chercheurs ont pu réduire de moitié la limite supérieure de la masse des neutrinos électroniques, la faisant passer de 0,8 eV à 0,45 électronvolt (eV) — soit environ 8 × 10⁻³⁷ kilogrammes, un chiffre tellement infime qu’il revient à comparer un gramme à la masse de 40 000 soleils.
Et ce n’est qu’un début. La campagne complète, qui devrait s’achever en 2025, prévoit d’atteindre une précision encore plus grande avec 250 millions d’électrons analysés. L’objectif ? Abaisser cette limite à 0,3 eV, avec un niveau de confiance de 90 %.
Vers une nouvelle physique ?
Pourquoi est-ce si important ? Parce que si les neutrinos ont bel et bien une masse, alors le Modèle standard de la physique ne suffit plus. Il faudra soit l’amender, soit le dépasser. Et cette faille pourrait bien être la porte d’entrée vers une nouvelle physique, encore insoupçonnée.
Comprendre la masse des neutrinos pourrait aussi éclairer des phénomènes encore mystérieux, comme la matière noire, qui représenterait une grande partie de la masse de l’univers sans que l’on sache encore de quoi elle est faite. Ou encore nous offrir de nouvelles clés sur l’évolution de l’univers, depuis les premières secondes du Big Bang jusqu’à aujourd’hui.
En pesant l’un des objets les plus impalpables de l’univers, l’expérience KATRIN ne se contente pas d’atteindre un exploit technique. Elle tend un miroir à nos limites actuelles, et ouvre une fenêtre sur ce que la physique pourrait encore nous révéler.
Les détails de l’étude sont publiés dans la revue Science.