Les Européens achètent-ils « près de 80% » de leur matériel de défense » en dehors de l’Union européenne ?

Les chefs d’État et de gouvernements réunis en Conseil européen à Bruxelles discutent jeudi 20 mars 2025 de leur dépendance en matière de défense. Voilà ce qu’en disait sur France Inter deux jours plus tôt l’eurodéputé LR François-Xavier Bellamy : « L’année dernière les Européens en général ont acheté 79 pour cent de leurs armements à l’extérieur de l’Europe »

Cette déclaration est fausse. Après enquête, c’est une mauvaise interprétation d’un chiffre qui circule pourtant beaucoup, et que plusieurs personnalités politiques ont repris à leur compte. Ce que l’on comprend avec cette formulation, c’est que près de 80% de ce que les 27 ont acheté comme avions, missiles ou autres munitions l’ont été à des industriels non européens. Or, les estimations des experts en défense tournent plutôt autour de 50%.

Une statistique diffusée par la Commission européenne

Cette statistique a été publiée dans un document tout à fait officiel de la Commission européenne. Une communication du 5 mars 2024 établissant une nouvelle stratégie pour l’industrie européenne de la défense, dans laquelle on peut lire que « quelque 78 % des acquisitions réalisées dans le domaine de la défense par les États membres de l’UE entre le début de la guerre d’agression menée par la Russie et juin 2023, provenaient de l’extérieur de l’UE, les États-Unis représentant à eux seuls 63 % de ces acquisitions ».

La Commission renvoie dans ce document vers une étude de l’IRIS, l’Institut de relations internationales et stratégiques datée de 2023 et signée du chercheur Jean-Pierre Maulny. Joint par téléphone, ce dernier a précisé à franceinfo que cette statistique ne prend pas en compte les achats nationaux des États membres. Du calcul initial, sont par exemple exclues les armes que le gouvernement français a achetées aux fabricants français, ou que les Italiens achètent sur leur marché national d’armement. Le chercheur l’avait expliqué lors d’une audition devant la Commission défense de l’Assemblée nationale.

Quelque 49% d’importations en matière de défense en 2021

En 2021, selon son estimation, le pourcentage d’acquisition d’armement par les Européens (en tenant compte des achats domestiques) était de 49%, et selon son calcul actualisé en février 2025, nous avons atteint 56% d’achats non communautaires. Avec la guerre en Ukraine, la dépendance des Européens avec le reste du monde s’est donc accrue, mais on est loin du chiffre de 78% relayé par la Commission européenne.

L’IISS, l’Institut international d’études stratégiques basé à Londres livre une estimation pas très éloignée. En 2024 il estimait à 48% notre dépendance européenne aux fournisseurs d’armes extracommunautaires.

La France se fournit à 90% au sein de l’UE

Il y a cependant de très fortes disparités entre les 27, précise le directeur adjoint de l’IRIS Jean-Pierre Maulny. La France achète selon lui à 90% du matériel français ou européen et seulement 10% à des fabricants d’armes non communautaires. Il cite comme exemple des missiles antichar ou bien les catapultes qui seront nécessaires pour faire décoller nos appareils du futur porte-avions, des catapultes de dernière génération fabriquées uniquement aux États-Unis.

Ce sont surtout l’Allemagne et la Pologne qui font pencher la balance. L’Allemagne, se fournit à 55% en dehors de l’UE, elle achète des avions de combats américains, les F35 et des hélicoptères américains, explique encore le chercheur. La Pologne elle, se fournit à 72% ailleurs qu’en Europe,  toujours selon ses calculs les plus récents. Varsovie achète américain, mais aussi des chars sud-coréens.

Ces chiffres se basent sur des commandes, et sont donc des estimations dans un domaine ou le secret-défense et industriel est souvent bien gardé.

Pourquoi achète-t-on autant de matériel militaire américain ?

Deux tiers des importations européennes de matériel militaire proviennent des États Unis. Une bonne partie des États membres de l’UE se fournissent traditionnellement Outre-atlantique parce qu’ils estimaient jusqu’alors que cela leur offrait des garanties de sécurité en cas d’attaque. C’est particulièrement le cas à l’est du continent. Mais les États-Unis, qui demeurent les premiers fournisseurs d’armes au monde ont aussi des stocks plus remplis qu’ailleurs, et un catalogue plus large de matériel.

Les Européens achètent aussi à la Turquie, à Israël, aux Sud-Coréens et aux Britanniques. Souvent, ces achats se doublent de contrats de maintenance qui engagent les deux parties pour des décennies, explique aussi le rédacteur en chef du site B2 consacré à la défense Nicolas Gros Verheide. C’est particulièrement le cas pour les avions de chasse F35, qui peuvent avoir une durée de vie de plus de 40 ans.



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