
C’est une constellation de dizaines de milliers d’objets au-dessus de nos têtes. Un spectacle sans aucun doute magnifique s’il s’agissait d’étoiles et non de débris spatiaux, dont le nombre continue d’augmenter rapidement. Voilà ce que pointe l’édition 2025 du rapport annuel sur l’environnement spatial de l’Agence spatiale européenne (ESA), publiée récemment.
L’institution a recensé, jusqu’à fin 2024, près de 40.000 objets traqués par les réseaux de surveillance spatiale. Mais « le véritable nombre de débris spatiaux de plus d’un centimètre – suffisamment grands pour être capables de causer des dommages catastrophiques – est estimé à plus de 1,2 million, avec plus de 50.000 objets de plus de 10 centimètres ». Un chiffre problématique, surtout au vu du peu de solutions mises en place.
Les orbites basses, cœur du problème
Le problème des débris spatiaux concerne surtout les orbites basses, jusqu’à 2.000 kilomètres d’altitude. D’après le rapport de l’ESA, environ 10.000 objets y évoluent, rendant certaines altitudes, notamment entre 700 et 1.000 kilomètres, très dangereuses : « Si vous lancez un nouveau satellite dans cette zone-là, on estime qu’il a 10 % de chance de mourir d’un impact de débris », explique Christophe Bonnal, membre de l’Académie de l’air et de l’espace et ancien expert sur les débris spatiaux au Cnes.
Cet encombrement de l’orbite basse pose un réel problème : dans cette zone, « au fur et à mesure qu’on monte en altitude, l’atmosphère va de moins en moins freiner nos objets », qui redescendront y brûler beaucoup moins rapidement, expose le spécialiste. Ainsi, « vous rentrerez dans l’atmosphère en vingt ans si vous êtes à 600 kilomètres d’altitude, en deux siècles à 800 kilomètres, en mille ans à 1.000 kilomètres, en deux mille ans à 1.200 kilomètres… » Et ainsi de suite.
Un nombre croissant de débris
Et c’est là tout le problème : « Les objets qu’on va laisser à 800 kilomètres d’altitude vont se déplacer à 30.000 kilomètres à l’heure pendant deux cents ans, donc la probabilité de faire une mauvaise rencontre et d’avoir une collision est très élevée », développe Christophe Bonnal. Ces rencontres doivent à tout prix être évitées car elles peuvent « générer des milliers de nouveaux débris qui vont rester un certain temps là-haut et qui ne demandent qu’à rentrer en collision avec d’autres objets ».
Ce phénomène s’appelle le syndrome de Kessler, « une réaction en chaîne où les collisions entre objets sont plus rapides que le nettoyage atmosphérique », même si l’humanité ne lançait plus jamais aucune fusée. En 2024, 3.000 objets ont ainsi été générés en orbite, pointe le rapport de l’Agence spatiale européenne, un chiffre qui ne fera qu’augmenter car « on s’attend à au moins 30.000 satellites actifs, plus probablement 100.000, d’ici à 2030 », prévoit le spécialiste de l’Académie de l’air et de l’espace.
Des lois et réglementations nécessaires
D’où la nécessité de limiter l’encombrement des orbites, un processus qui passe notamment par la mise en place de réglementations sur les satellites en fin de vie. Au niveau mondial, des recommandations sont émises par l’IADC, le Comité de coordination interagences des activités sur les débris spatiaux. Il est notamment à l’origine d’une règle qui prévoit que les objets en orbite basse doivent rentrer dans l’atmosphère dans les vingt-cinq ans suivant leur fin de vie opérationnelle. Pour ce faire, « certains satellites se désorbitent de façon commandée, c’est-à-dire qu’ils rallument la propulsion en fin de mission de manière à vérifier où ils retombent. Mais dans la grande majorité des cas, ils redescendent de façon aléatoire », décrit Christophe Bonnal.
En Europe, l’ESA, très avancée en la matière, s’est fixé comme objectif d’être neutre en débris d’ici à 2030. En 2023, dans le cadre de son « approche zéro débris », elle a notamment réduit à cinq ans le temps maximum qu’un satellite de l’Agence ou une partie d’une fusée peut passer en orbite après la fin de sa mission. Si ces recommandations semblent respectées au niveau européen, avec 80 % des pièces de fusées respectant ce délai de cinq ans d’après le rapport de l’ESA, il reste encore du travail, surtout au niveau international, où les recommandations « sont très mal respectées », selon Christophe Bonnal.
Le nettoyage indispensable
D’autant que ne plus encombrer l’orbite terrestre n’est pas suffisant, il faut aussi la « nettoyer ». En 2021, 13 équipes de 8 pays différents ont publié dans Acta Astronautica une liste des 50 objets à aller chercher en priorité, comme des vieux satellites ou des étages supérieurs de fusées entiers. « Il faut retirer les gros objets car ce sont eux qui vont servir de source à la génération de petits débris », justifie Christophe Bonnal, qui précise qu’« il faut aller en retirer dix par an pour stabiliser l’environnement ».
Plusieurs techniques existent pour désorbiter des objets qui ne le font pas par eux-mêmes. On trouve notamment les techniques sans contact. Par exemple, « on souffle sur un débris ou on interagit avec lui avec un laser ou avec un faisceau d’électrons », décrit l’expert. Mais ces techniques ne permettent de désorbiter « que les débris d’un centimètre, pas les plus gros, dont on arrive seulement à modifier un peu la trajectoire ».
Grappins, filets, et bras rigides
Les autres techniques consistent à avoir « un « satellite chasseur » qui va aller interagir avec le débris », pose l’ancien ingénieur du Cnes. Cette méthode utilise des harpons, des grappins ou des filets, « reliés au dispositif avec un câble. On le lance sur le débris, on tire et on désorbite le tout, c’est comme attraper une truite en pêche à la ligne ». Mais cela est compliqué à mettre en place car elle implique de « faire un rendez-vous en orbite entre les deux objets ».
D’autres techniques consistent à utiliser un bras robotique ou des tentacules, pour « maîtriser le débris de manière à ne faire qu’un avec lui » pour l’emmener se désorbiter, explique Christophe Bonnal. Une méthode prometteuse qui reste complexe à mettre en place car « les débris sont non coopératifs, c’est-à-dire qu’ils ne disent pas où ils sont » de manière suffisamment précise, « tournent sur eux-mêmes » et « n’ont pas été prévus pour, donc n’ont pas de poignée pour les saisir ».
Quelques projets sont en développement. C’est le cas de ClearSpace-1 de l’ESA, qui devrait décoller en 2028 pour aller chercher et désorbiter le satellite Proba-1. Mais aucune mission utilisant cette méthode, pourtant maîtrisée d’après l’ancien du Cnes, n’est financée. En cause, en premier lieu, le coût de telles opérations, qui surpasse souvent largement la valeur de l’objet à aller désorbiter. Sans réelle solution de financement, l’orbite basse pourrait vite devenir… une orbite poubelle.