
Interrogé ce dimanche sur le meurtre d’un musulman dans une mosquée du Gard, Manuel Valls refuse de parler d’islamophobie, terme qui selon lui aurait été inventé « par les mollahs iraniens » il y a 30 ans. Une fausse information qu’il a plusieurs fois répétée les dernières années, notamment en 2013, lorsqu’il expliquait dans le Nouvel Obs que le mot avait été « forgé par les intégristes iraniens à la fin des années 1970 pour jeter l’opprobre sur les femmes qui se refusaient à porter le voile. »
Pour Vincent Geisser, directeur de l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans du CNRS, difficile de donner beaucoup de crédit à cette théorie : « On ne sait même pas comment traduire ce terme en persan… »
Sur les traces de l’islamophobie
La première occurrence connue de ce terme remonte pour lui à 1910, dans « La politique musulmane occidentale française » d’Allain Quellien, un inconnu, rédacteur pour le ministère des Colonies et docteur en droit. L’islamophobie y est décrite comme un « préjugé contre l’islam » répandu chez les peuples occidentaux.
Utilisé majoritairement par des intellectuels anticolonialistes comme Étienne Dinet au cours du 20eme siècle, le terme entrera dans le langage commun à partir du début des années 2000, grâce à un évènement particulier : « Le 11 septembre va participer à généraliser le concept, notamment à cause des contre-effets de l’attaque terroriste. » Avec la montée de la « peur » des musulmans, le mot est à l’époque le reflet de sa racine étymologique, là où il est aujourd’hui plus proche de tout ce qui touche aux attaques contre les musulmans.
L’origine de la « fausse théorie »
Pour rester dans la généalogie, la théorie de l’invention du terme « islamophobie » par les mollahs iraniens revient à Caroline Fourest, dans un ouvrage de 2003 intitulé « Tirs croisés : La laïcité à l’épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman ». Elle affirme dans cet ouvrage que le terme a été utilisé « pour la première fois été utilisé en 1979, par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de « mauvaises musulmanes » en les accusant d’être « islamophobes ». »
Elle a ensuite repris cette théorie à plusieurs reprises dans les années qui ont suivi, soutenue notamment par des politiques comme… Manuel Valls. Face aux preuves de la supercherie, elle explique en 2013 à Libération que « l’important, ce n’est pas de savoir si quelqu’un a parlé d’islamophobie il y a un siècle dans sa salle de bain, c’est le sens de ce mot. »
Pour Vincent Geisser, certains refusent d’utiliser ce mot parce qu’ils y voient une « construction islamiste » qui aurait selon eux pour objectif « d’islamiser l’Europe ». « Ils assurent que ce terme serait idéologique et cacherait donc une entreprise idéologique ». Pourtant, le chercheur pointe que le terme s’est aujourd’hui répandu dans l’ensemble de la société, et même chez des personnages qu’il serait difficile de qualifier d’islamistes. « Bayrou n’a pas hésité à l’employer, et déjà à l’époque, Nicolas Sarkozy l’avait aussi utilisé. La généralisation n’est pas liée à une quelconque islamisation de la société. » Utilisé par les journalistes, les associations, les politiques, le terme est rentré dans le langage commun.
Notre dossier sur l’islamophobie
Pour le chercheur, il ne faut cependant pas ignorer que le terme, souvent à l’étranger, est instrumentalisé par un certain nombre de régimes autoritaires pour en masquer les dérives et critiquer l’Europe et la France : « Erdogan l’a beaucoup utilisé quand la Turquie a été mise en cause pour son manque de respect aux droits humains. Pour lui, critiquer son pays, c’était être islamophobe. » Le plus important selon lui est de ne pas se perdre dans ces considérations sémiologiques pour ignorer le fond du problème : les actes anti-musulmans. « Il ne faut pas le fétichiser. Que l’on parle d’islamophobie ou d’actes anti-musulmans, ce sont les actes qui comptent. Un phénomène de racisme qui mélange la race, la religion, la culture… »