L’auteur de « J’y étais », voulait « revivre des matchs par procuration »


AS Saint-Etienne – Bayern de Munich en finale de la Coupe d’Europe des clubs champions en 1976. La Ligue des champions 1993 remportée par l’OM face à l’AC Milan. France – Brésil au Mondial 1998 où les Bleus ont décroché leur première étoile. La remontada barcelonaise face au Parisien en huitièmes de finale de la Ligue des champions 2017… Les pages les plus marquantes de l’histoire du football français se retrouvent toutes (ou presque, l’épopée du Mondial 1958 n’y apparaît pas) dans J’y étais, le livre que Jean-Karl Lucas publie ce vendredi aux éditions En exergue. L’artiste, qui forme avec son épouse Emilie Satt le duo Madame Monsieur, est un grand fan de ballon rond. « J’ai toujours adoré le foot et, plus globalement, l’histoire du foot, les histoires liées au football, notamment les histoires de vie », avance-t-il à 20 Minutes.

Comme le fait comprendre le titre de son ouvrage, il a recueilli les témoignages d’hommes et de femmes qui ont vécu ces matchs à l’intérieur des stades. « Tout est parti d’une envie personnelle de partager des souvenirs de rencontres mythiques, devant lesquelles j’ai vibré, ou dont on, mon père notamment, m’a beaucoup parlé quand j’étais gamin. Je voulais en quelque sorte revivre ces matchs-là par procuration », explique Jean-Karl Lucas pour qui « un grand match de foot, c’est un moment d’histoire ».

Pour le match France – Brésil du Mondial 1998, vous n’avez pas croulé sous les témoignages ?

Non, ce n’était pas si évident d’en trouver, en fait. Le témoignage que j’ai recueilli, celui de Frédéric, est un de ceux qui m’ont le plus touché, parce qu’il y est question de filiation et de transmission. Il raconte qu’au-delà de voir l’équipe de France gagner la Coupe du monde, il a partagé, grâce à ce match-là, un moment exceptionnel avec son père – qui est malheureusement parti quelques années après. Il lui avait promis de l’emmener au stade si un jour la France jouait une finale de Mondial. Il a tenu sa promesse, il a réussi à avoir des places. Il s’est vraiment battu. Frédéric m’a dit que ça l’a marqué à vie, et que, aujourd’hui, devenu papa, il n’a de cesse d’essayer de surprendre ses enfants, de leur faire plaisir.

Un chapitre est consacré à la « nuit de Séville » et à ce France – RFA cauchemardesque en demi-finale de Coupe du monde en 1982. Ce match a souvent été relaté sous son angle violent ou de la cruelle désillusion pour les Bleus. Or, dans le livre, le témoin parle des supporters ouest-allemands qui ont fait une haie d’honneur aux supporters français…

Exactement. Et ça, c’est l’exemple typique d’une expérience de match qu’on ne peut avoir que dans un stade. Je me suis entretenu avec ce témoin, Dominique, pendant une heure au téléphone et il a pleuré en me racontant ça, parce que ça l’a énormément remué. Ce qu’il a trouvé le plus beau là-dedans, c’est ce geste-là des supporters ouest-allemands qui ont fait cette haie d’honneur et ont passé leurs écharpes autour du cou des supporters français. Tout le monde avait conscience d’avoir vécu un truc incroyable et que les Français auraient aussi mérité de gagner.

Un autre témoignage marquant est celui de Soufyane qui évoque comment il a vécu le match – arrêté – opposant la France à l’Algérie en 2001. Cette rencontre a dépassé le cadre sportif dès les hymnes…

Exactement. Il y avait une symbolique énorme. Le récit qu’en fait Soufyane, c’est la petite histoire dans la grande. Il a 11 ans. C’est la première fois qu’il entre au Stade de France. Il est né en France de parents algériens. Comme beaucoup de gamins tels que lui, il se demande qui il est. Français ? Algérien ? Lui, à ce moment-là, il a envie de se mettre en opposition avec la France en étant à fond pour l’Algérie. Il m’a confié qu’il faisait partie de ceux qui ont sifflé La Marseillaise et m’a expliqué que, sur l’instant, il pensait que c’était la bonne chose à faire. Finalement, ce match l’a aidé à comprendre qu’il s’était sifflé lui-même. Il l’a aidé à prendre conscience de qui il était. Aujourd’hui, il est un incroyable passionné des stades. Il voyage à longueur d’année et il est l’un des piliers des supporters de l’équipe de France. Partout où il va, il a le drapeau français sur une épaule et le drapeau algérien sur l’autre. Il est complètement apaisé avec ça. Il a une vision du supporterisme très ouverte sur l’autre, sur la rencontre.

La face sombre du supporterisme, le hooliganisme, est évoquée à travers, le drame du Heysel, à Bruxelles. Mais plutôt que de parler de cette finale opposant la Juventus de Turin à Liverpool, vous évoquez le match retour de la demi-finale entre Bordeaux et la Juve…

Je voulais rester sur le football français. Je trouvais que c’était une manière élégante d’aborder le Heysel, sans aller totalement dedans, entre guillemets. Avec ce match-là, à Bordeaux, on a un avant-goût de ce qui allait se passer au Heysel (une bagarre généralisée et un mouvement de foule ayant entrainé la mort de 39 personnes et 465 blessés, ndlr), c’est-à-dire les conditions d’accueil, le fait que davantage de billets étaient vendus, que le stade pouvait accueillir de spectateurs, etc. Il y avait une espèce d’amateurisme, avec très peu de sécurité. Ce chapitre est aussi une histoire familiale. Le témoin confie que, après coup, il était content de la non-qualification de Bordeaux sinon son frère et son père seraient assurément allés au Heysel.

Le Bastia – OM du 5 mai 1992 au stade de Furiani, où 18 personnes sont mortes et des milliers d’autres ont été blessées après qu’une tribune s’est effondrée, est le seul match du livre dont le coup d’envoi n’a jamais été donné…

Je voulais absolument en parler parce que, déjà, ça m’a marqué quand j’étais gamin. Je me souviens très bien où j’étais et ce que j’ai ressenti quand ça s’est passé. Et puis c’est un événement majeur des stades en France. J’ai été content et très ému de passer un moment avec les deux témoins, le commentateur radio Didier Grassi qui s’était installé dans la tribune qui est tombée, et Antoine Di Fraya, le capitaine du SC Bastia à l’époque, qui était sur le terrain. C’est absolument poignant ce qu’ils racontent. Dans le livre, je voulais parler des grands moments de joie ou de tristesse sportive, mais aussi évoquer des événements où le résultat sportif ne compte plus.

Comme le France – Allemagne au Stade de France, le 13 novembre 2015. Lors de la première mi-temps, une attaque terroriste a eu lieu près de l’enceinte…

Le témoignage d’Emilie et Noémie est sidérant. Elles expliquent qu’elles ont pris la décision de quitter le stade avant la fin du match car elles se sont senties en danger. Or, le Stade de France était ce soir-là l’endroit le plus sûr de Paris et ses alentours. Elles racontent les CRS armés qui les ont escortées pendant que des hurlements de bonheur résonnaient dans les tribunes car la France venait de marquer un but. C’est un contraste incroyable.

Parmi les témoignages féminins, il y a celui de la violoniste Marina Chiche qui a joué « We Are The Champions » en ouverture de Marseille – Lorient, en hommage à Bernard Tapis, le 17 octobre 2021. Vous vouliez faire un clin d’œil au monde musical ?

Oui, je voulais que des artistes témoignent dans le livre parce que je trouve qu’il y a toujours beaucoup de similitudes entre le sport et la musique. L’approche d’un match ressemble à l’approche d’un concert : le vestiaire et la loge, le chemin qui nous amène à la scène et le couloir qui conduit au terrain. Et puis, d’un seul coup, tout devient hyperlumineux quand on entre sur le terrain ou en scène. Il y a le rapport au public, le rapport à soi-même aussi, l’envie de donner le meilleur de soi. Marina est une artiste extraordinaire qui s’est produite dans le monde entier. Elle me raconte qu’elle a déjà porté des maillots de foot lors de concerts ou qu’elle a chopé un geste technique hyperdifficile en regardant Thierry Henry jouer, à la télé.

Elle montre un autre visage des supporters…

A travers ce livre, je voulais montrer qu’il y a tous les profils parmi les supporters de foot et pas seulement des gars un peu rustres qui hurlent en tapant sur un tambour. Il m’importait de souligner que les supporters ont une vie, d’autres centres d’intérêt, mais aussi que le foot infuse dans toute la société.

Parmi les témoins, il y a aussi des journalistes, dont Michel Drucker…

J’ai été très heureux et fier de le faire parler de ce sujet. Commentateur sportif a été son premier métier. J’étais intéressé par son regard sur l’évolution des retransmissions télévisées. A l’époque, en tribune de presse, il n’avait pas de retour. Donc, il avait acheté des jumelles pour pouvoir voir le terrain. Il était tout seul, il n’y avait pas de consultant. Il raconte aussi qu’il n’avait pas osé reprendre le micro pour la Coupe du Monde 1998 et qu’il le regrettait. Le Brésil – Italie, cette finale de la Coupe du monde 1970, dont parle Michel Drucker, est la seule entorse que j’ai faite à ma ligne éditoriale centrée sur le foot français. Cette finale reste la plus mythique de l’histoire du foot. Elle a été la première diffusée en couleurs, en Mondiovision, avec Pelé, la grande équipe du Brésil…

Vous parliez à l’instant des ressemblances entre la musique et le football. L’Eurovision, auquel vous avez participé en 2018, vous l’avez vécu comme la finale d’un Euro ?

C’est plus difficile, quand on est acteur du truc, de vraiment accéder à l’émotion. Il y a tellement de pression et d’enjeux. Il est compliqué d’être dans le plaisir de l’instant. Mais oui, c’est un peu l’Euro de la chanson, même si le côté compétition, en musique, est bizarre. Il est vrai aussi que j’ai pu voir à l’Eurovision des scènes de ferveur comme on peut voir dans un stade de foot. Il y a une ambiance. Il y a presque du supporterisme dans le public de l’Eurovision. C’est assez étonnant.

Est-ce que, en recueillant tous ces témoignages, il y a un match auquel vous auriez rêvé d’assister ?

Je n’éprouve aucun regret de ne pas avoir vu dans les stades ces matchs-là. Les matchs de foot, ce sont des moments partagés. Je préfère avoir vu le France – Italie de l’Euro 2000 et le but en or des Bleus devant la télé avec mon père – on s’est pris dans les bras – qu’au stade à Rotterdam, tout seul.

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Cela me titille en revanche d’assister, une fois dans ma vie, à une grande finale. Si le PSG va en finale de la Ligue des champions cette année, j’irais bien. On ne vit ça qu’une fois dans sa vie.



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