« L’amour, c’est surcoté » : un bonbon dur à l’extérieur, doux à l’intérieur – Bondy Blog

Milieu de semaine, milieu d’après-midi, centre de Paris : à l’entrée du cinéma, l’agent d’accueil prend mon ticket et me dit « salle 6, à l’étage ». Je me dis « ah oui c’est les grandes salles là-bas », et effectivement, c’est la 3ᵉ plus grande salle du plus grand cinéma d’Europe (en nombre de salles) selon Wikipédia. 332 fauteuils.

Je me dis qu’ils l’ont mis bien Mourad Winter pour son premier film adapté de son premier roman : « L’amour, c’est surcoté ». 

Mais ça m’inquiète un peu, d’abord parce que je suis une adepte des films qui passent plutôt dans les salles 30 et quelques. Celles qui ont une poignée de fauteuils et où vous avez l’impression que l’écran est sur vos genoux. Faut dire que ces mêmes films sont généralement plébiscités par des personnes dont la vision décline et qui passent devant vous tous les quarts d’heure pour aller pisser (des vieux).

Ensuite, parce que j’ai lu les deux livres de l’écrivain-réalisateur et que l’enchaînement des punchlines m’a souvent étourdie, gâchant presque le plaisir de la lecture si je n’avais pas dû m’incliner devant la manière dont la majorité des vannes sont troussées. Le trop n’est jamais l’ennemi du pas assez. Vaut mieux trop que pas assez quoi.

Deuxième surprise en entrant dans la salle, elle est remplie aux trois quarts. Et pas seulement par des jeunes. Et pas seulement par des banlieusards d’apparence. Je retrouve quelques-uns de mes petits vieux incontinents. Un quittera la salle, deux iront aux toilettes, ratant le moment où le personnage joué par Laura Felpin confie au bord d’une piscine le genre de secrets qui vous donne envie de serrer les gens que vous aimez dans les bras.  Dommage pour eux, mais vu qu’ils sont vieux, sûrement qu’il n’y a plus personne qui les aiment de toute façon.

C’est l’une des principales forces du film, il humanise des mecs noirs, arabes et paumés 

Sincèrement, je me demande comment autant de gens ont pu être attirés par une comédie romantique avec un arabe qui a du mal à se remettre du décès de son ami et qui galère avec les meufs. Déjà, il y a autant de gens qui savent que les arabes peuvent avoir des sentiments ? C’est l’une des principales forces du film, il humanise des mecs noirs, arabes et paumés quand bien trop souvent, le cinéma leur taille un costume de mec drôle, au mieux, kamikaze ou dealer au pire.

Le film aborde des thèmes facilement maniables comme l’amour (évidemment),  et d’autres plus périlleux comme la santé mentale, le deuil, le racisme, la religion, et tout un tas de sentiments que la plupart des gens enfouissent par peur de se noyer dedans. La volonté de vouloir tout aborder, c’est aussi ce qu’on peut un peu reprocher à ce film, mais Mourad Winter a énormément de choses à dire et à montrer.

Chacune des personnages que l’on voit dans ce film existe aussi dans la vraie vie, mais jamais sur CNews

Il est une sorte de Ramy Youssef français, en un peu plus tendre et un peu moins vulgaire – même si vulgaire quand même, et un peu moins stylé, car on ne détrônera jamais les Américains. Il manquait ce film à la représentation des musulmans au cinéma et quiconque en connaît ou habite en banlieue sait que chacun et chacune des personnages que l’on voit dans ce film existe aussi dans la vraie vie, mais jamais sur CNews.

Et puis c’est une ode à l’enfance insouciante et sincère – parce qu’elle ne peut-être que ça et à l’amitié entre copains de quartier. Un thème qui est largement sous-exploité en littérature comme au cinéma alors qu’il est d’une intensité dont on pourrait faire mille histoires (à ce propos, ce mois d’avril me fait un peu mentir, car une autre œuvre traite de ce sujet de manière aussi tendre et brillante : « le retour du roi Jibril », un roman collectif aux éditions l’Iconoclaste).

C’est le film de celles qui n’ont pas peur d’être qui elles sont, des types qui enchaînent les vannes (…) des types qui ont le cœur trop mou pour oser le porter en bandoulière

Si on était dans les années 90 et que je rédigeais ce papier pour Télérama, j’oserais dire que c’est le film d’une génération. Celui des arabes qui amènent leurs dates dans les restaurants halal qui se disent gastros parce qu’ils mettent du gros sel sur l’entrecôte, des meufs qui savent grâce à des psys Instagram qu’elles n’iront jamais loin avec des mecs qui essaient d’avancer avec un organe (le cœur) en vrac. C’est le film de celles qui n’ont pas peur d’être qui elles sont, des types qui enchaînent les vannes, mais se réfugient souvent sur le toit de leur immeuble, de celles et ceux qui ne parlent qu’avec des mèmes, qui vont à la mosquée le vendredi et à la chicha le samedi, qui ont le cœur trop mou pour oser le porter en bandoulière.

Et le petit bonus, c’est que cette comédie romantique réussit à échapper aux codes traditionnels : sans vous rien vous divulgâcher, il ne va pas y avoir de moment où, après une période de bonheur intense, les deux amoureux s’embrouillent et sont tristes en regardant la pluie tomber à travers leur fenêtre. Pas de course à l’aéroport, pas de fille en larmes sur son canapé et de scène ou le héros, sur fond de musique triste, enchaîne les rencontres pour oublier sa bien-aimée avec à l’écran des filles qu’on voit parler, mais qu’on n’entend pas, pas de quiproquo comme si on avait jamais lu Marivaux. Voilà, c’est aussi ça la force du film, une comédie résolument moderne et rafraîchissante comme on lirait dans Ouest France.

Avec son film, Mourad Winter répond à la question qui traumatise notre époque : peut-on rire de tout ? Oui, mais uniquement avec celles et ceux qui ont l’âme intérieur velours : douce comme un fauteuil de cinéma. Et comme ses personnages.

Louisa Midiou



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