
Une enquête policière a été ouverte en Islande le 25 mars suite à la mort d’un million de jeunes saumons dans la ferme d’élevage de Kaldvik, en raison « de mauvais traitements, de conditions de transport difficiles et d’une qualité médiocre de l’eau de mer ». C’est l’autorité alimentaire et vétérinaire islandaise qui a donné l’alerte face à ces « graves » violations du bien-être animal, selon un communiqué de presse de l’entreprise de vêtements Patagonia, qui s’investit sur les sujets écologiques.
D’après les autorités islandaises, près de 440 000 alevins — poissons récemment éclos — sont morts après avoir été déplacés en bateau des fjords du sud du pays pour être mis dans des filets ouverts — des enclos fermés placés en pleine mer ou en eau douce — au large de la côte est de l’Islande, en novembre 2024. En décembre 2024, l’entreprise Kaldvik répétait la même action avec 600 000 saumons, qui ont également trouvé la mort après avoir été transférés.
Négligence criminelle
Selon les conclusions de l’autorité alimentaire et vétérinaire islandaise, les blessures causées pendant le transport ainsi que la mise en eau dans une mer trop froide seraient à l’origine de leur mort.
« Si cela arrive une fois, on peut penser qu’il s’agit d’un tragique accident. Mais quand l’entreprise répète l’opération, avec les mêmes résultats, c’est de la négligence criminelle, dénonce Jon Kaldal, porte-parole de l’ONG Icelandic Wildlife Fund. C’est un cas très grave de maltraitance animale. » Contactée, l’entreprise Kaldvik n’a pas donné suite aux sollicitations de Reporterre.
Cette affaire est un symbole des dysfonctionnements majeurs de cette filière, que l’ONG française Seastemik qualifiait de « bombe écologique et sociale » dans un rapport en mai 2024. En février, près de 27 000 saumons d’élevage se sont échappés en Norvège, menaçant leurs congénères sauvages.
« C’est terrible pour l’écosystème des fjords et la vie marine »
Cette technique de pêche, utilisée par les industriels afin de satisfaire la demande en poissons, et répondre aux enjeux de surpêche et de surexploitation des milieux marins, est considérée à haut risque pour l’environnement, car les fermes d’élevage sont directement en contact avec les milieux naturels. En mer, les déchets d’exploitation sont directement rejetés dans l’eau : restes d’aliments, microplastiques, produits chimiques, pesticides, métaux lourds. « C’est terrible pour l’écosystème des fjords et la vie marine », se désole Jon Kaldal.
À cela s’ajoute une pollution génétique. Lorsque les saumons domestiqués s’échappent, leurs gènes se mélangent à ceux des individus sauvages. Ces derniers perdent alors leur capacité à naviguer dans l’océan, deviennent plus vulnérables aux maladies et grandissent trop. Ce dernier point est un problème car, pour se reproduire, les saumons sauvages retournent à l’endroit où ils sont nés. Ces cours d’eau sont parfois étroits, or, si les saumons sont trop grands, ils ne peuvent plus se frayer un chemin.
Cela accentue la baisse de la population de saumons sauvages, qui ne représente que 25 % de son niveau de 1970 dans l’Atlantique Nord, selon l’ONG Icelandic Wildlife Fund.
« Cette cruauté se passe sous la surface de la mer, on ne le voit pas mais elle est bien réelle »
« L’année dernière, 5 millions de saumons d’élevage en filet sont morts en Islande. Il s’agit du chiffre le plus élevé jamais enregistré, qui n’a cessé de croître depuis le lancement de cette activité au début des années 2000. À titre de comparaison, le stock de saumons sauvages dans notre pays est estimé à 70 000 poissons », dit Jon Kaldal.
Les fermes à saumon ont un fort impact sur la biodiversité.
Flickr / CC BY–NC–ND 2.0 / Rod Cuthbert
En filet ouvert, les individus sont confinés dans de petits espaces, ce qui favorise la prolifération de maladies et de parasites. Le taux de mortalité d’un cycle d’élevage (18 à 25 mois) est autour de 40 %. « Aucun agriculteur ne serait autorisé à opérer de cette manière, martèle Jon Kaldal. Cette cruauté se passe sous la surface de la mer, on ne le voit pas mais elle est bien réelle. Et elle est inscrite dans le modèle économique de l’élevage en filet. »
Pour mettre fin à ce système, des propriétaires de rivières islandaises ont intenté une action en justice contre l’une des principales entreprises d’exploitation du pays, Arctic Sea Farm, et les autorités islandaises. L’objectif est d’annuler les permis d’exploitation des fermes de saumons en filet ouvert, situées dans deux fjords du nord-est de l’île. L’ONG Icelandic Wildlife Fund et l’artiste islandaise Björk soutiennent ce mouvement. « Nous espérons que cela aura un effet domino sur d’autres permis d’exploitations en Islande », explique Jon Kaldal.
Des contestations grandissantes
Cette mobilisation contre l’élevage du saumon en enclos marins n’est pas isolée : 65,4 % des Islandais y sont opposés, selon un sondage réalisé par l’entreprise Gallup en 2024. « Arrêter d’acheter du saumon élevé dans ces fermes est le meilleur moyen pour stopper cette industrie », dont la majorité de la production est exportée, souligne Jon Kaldal.
Une campagne de courriels a été lancée en mars par des ONG islandaises afin de faire pression sur le gouvernement et d’obtenir, à terme, l’interdiction des fermes en filet ouvert. En France, cette action a été soutenue par Patagonia. Dans un communiqué de presse, l’entreprise indique que plus de 4 000 personnes, dont 584 Français, ont envoyé un e-mail aux ministres islandais de l’Industrie et de l’Environnement.
Pour Jon Kaldal, ce mouvement montre que « de plus en plus de personnes commencent à comprendre que ce qu’ils pensaient être bon pour la faune et la mer [en évitant la surpêche de poissons sauvages] est en réalité néfaste ». Il espère que cette activité sera abandonnée d’ici cinq au plus tard.
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