La CNDP, une boîte à outils pour concilier intérêt général et particulier


« Je ne connaissais pas la Commission nationale du débat public avant de participer à la concertation », avoue Marie Darzacq, présidente de Landes Aquitaine Environnement. Cette association est née du collectif STOP THT 40 formé en 2021 au moment du lancement de l’enquête publique sur l’installation, désormais en cours, d’une ligne de haute tension par RTE. Celle qui est pourtant juriste retraitée est loin d’être la seule à découvrir la CNDP.

Jusqu’à ce que la construction d’une infrastructure ou d’une usine se profile sur leur territoire, la plupart des citoyens et des élus locaux ne sont pas familiers avec cette instance publique, créée il y a trente ans par la loi Barnier pour s’exprimer sur les projets d’infrastructures susceptibles de porter atteinte à l’environnement.

Un éventail de projets très varié

L’éventail des consultations est large : une mine de lithium dans l’Allier, des usines de carburants aériens de synthèse dans les Landes et dans les Vosges, une ligne de chemin de fer dans l’Hérault, des éoliennes en Haute-Garonne, un réacteur nucléaire dans l’Ain ou encore une prison dans le Morbihan. Or, si le projet de loi de simplification de la vie économique actuellement en discussion à l’Assemblée nationale devait être adopté en l’état, les projets industriels seraient exclus du périmètre.

Réindustrialisation : comment le gouvernement compte éjecter la Commission du débat public

Ce sont pourtant les plus nombreux, avec 60 % du total des saisines, et ceux qui mobilisent le plus la population. Le motif avancé par le gouvernement est double, réduire les délais et les coûts pour les porteurs de projets afin d’accélérer la réindustrialisation. « Contrairement aux idées reçues, le débat public ne ralentit pas la procédure : il a lieu en parallèle du développement du projet et le coût pour le maître d’ouvrage est minime », argumente France Nature Environnement.  La durée du débat public est d’ailleurs déjà limitée, à quatre mois maximum.

Un espace de discussion

« La concertation et l’anticipation des enjeux environnementaux sont des éléments clés pour éviter les blocages, prévenir des atteintes graves à l’environnement de même que le gaspillage d’argent public et privé. Même si les débats publics restent perfectibles, cette institution est essentielle », souligne l’association, qui a initié avec le Réseau Action Climat et Greenpeace France une pétition de soutien à la CNDP ayant recueilli plus de 30 000 signatures.

Des arguments brandis également par un certain nombre d’industriels, qui n’hésitent plus à défendre l’instance, mais surtout par toutes les associations citoyennes qui, en Nouvelle-Aquitaine ou ailleurs, ont participé et participent encore à des consultations.

« Même si la CNDP est dans une position très délicate quand il s’agit de projets soutenus par l’Etat, comme c’est le cas pour E-CHO, et que les réunions se résument à des présentations du porteur de projet, il n’empêche que cela crée un espace de discussion et met un coup de projecteur sur le projet », témoigne Jeanne Ophuls, porte-parole de Forêts Vivantes Pyrénées, rassemblant 69 associations dans le Sud-Ouest.

Un levier pour faire évoluer les projets

Ce collectif se mobilise contre deux projets dans les Pyrénées-Atlantiques, un premier, E-CHO, porté par Elyse Energy et des partenaires pour transformer de la biomasse en carburants durables et des produits pour l’industrie chimique sur le bassin de Lacq, et un second de Miraïa qui envisage la fabrication de charbon végétal à Garlin.

Les carburants durables d’Elyse Energy peinent à convaincre le Béarn

Et le collectif de souligner qu’Elyse a revu sa copie, en diminuant la consommation en eau et en revoyant l’approvisionnement en biomasse, après la publication de deux rapports de cabinets d’experts sollicités par la CNDP. « Bien sûr qu’il est important de donner de nouvelles perspectives de développement au bassin de Lacq, mais pas à n’importe quel prix », souligne la porte-parole, en référence au soutien unanime des pouvoirs publics locaux au projet. Le même a été désigné, au contraire, par l’agglomération Pays basque comme « un projet que l’on ne veut plus voir au 21ème siècle ».

Outiller les élus locaux

Car les débats sous l’égide de la CNDP permettent aussi d’outiller les élus face aux industriels, particulièrement dans les territoires ruraux. « Les maires, qui sont toujours nos premiers interlocuteurs, et les riverains ne pèsent pas les impacts positifs et négatifs d’un projet industriel ou d’une ligne à haute tension de la même manière et c’est logique. C’est toujours un arbitrage entre intérêt général et intérêt particulier », explique un garant de la CNDP en Nouvelle-Aquitaine, sous couvert de l’anonymat.

« Dans les petites communes, la CNDP permet d’interroger la nature et la pertinence du projet. Des questions auxquelles les maires ont parfois beaucoup de mal à apporter des réponses objectives lorsque l’industriel ou l’État leur promettent des retombées économiques, des créations d’emplois ou des subventions… La CNDP permet de garder la tête froide », souligne également Florence Bougault, administratrice de la Sepanso, association de défense de l’environnement dans le Sud-Ouest, impliquée dans plusieurs concertations, dont celle de la future usine de batteries EMME près de Bordeaux.

Et même là où les concertations « n’ont pas permis de répondre à toutes les interrogations », comme le résume Pierre Pécastaings, le maire de Seignosse (Landes) où passe la ligne de haute tension de RTE, on souligne l’importance de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. « Comme pour la gestion du recul du trait de côte, coûteuse et complexe, les petites communes devraient, au contraire, être mieux accompagnées lorsqu’il s’agit de projets d’intérêt national. Et même international dans notre cas puisque cette ligne relie notre pays à l’Espagne », plaide le maire.

Dialogue rompu autour du projet d’interconnexion électrique France-Espagne

Et pour faire pencher davantage la balance en faveur des associations citoyennes et des communes, surtout face aux grandes entreprises habituées aux débats publics, si la réforme de la CNDP devait passer, Marie Darzacq, de Landes Aquitaine Environnement. suggère de confier ces missions au CNPN (Conseil national de protection de la nature), composés de « scientifiques et non de politiques ».