Simple formalité ou véritable casse-tête, déclarer ses revenus est bien moins agréable que de déclarer sa flamme. Voyons le côté positif de la chose, pour les couples mariés ou pacsés c’est peut-être l’occasion de parler argent à la maison ! Mais attention, dans certains cas, le sujet peut être délicat car une question se pose : femmes et hommes sont-ils égaux devant l’impôt ?
Si on en croit, notamment, le rapport de l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes, paru en 2023 et créé conjointement par la Fondation des femmes et le Crédit Municipal de Paris, les effets d’un impôt « conjugalisé » seraient préjudiciables pour madame. L’individualisation du prélèvement de l’impôt à la source par défaut, objet d’un amendement déposé par la Députée Marie-Pierre Rixain lors de la loi de Finance de 2024, entrera en vigueur en septembre prochain. Alors, les femmes vont-elles y gagner ?
Madame n’avait pas son mot à dire
Impôt sur le revenu, pensions alimentaires, prestation compensatoire, héritage… Les règles fiscales sont-elles réellement à l’abris des biais de genre ? En France le droit fiscal est neutre et universel, il est supposé, dans les textes, s’appliquer indifféremment aux hommes et aux femmes. Mais cela n’a pas toujours été le cas ! Comme le souligne Lise Chatain, professeur de droit fiscal à l’université de Bourgogne dans son ouvrage « Le sexe de l’impôt » paru en février dernier, ce n’est qu’en 1982 que le Code général des impôts a supprimé la mention du « mari » qui, jusque-là, devait faire seul les déclarations fiscales et payer l’impôt. Madame n’avait pas son mot à dire.
Mais si aujourd’hui, fort heureusement, notre droit est neutre, la différence entre la situation financière d’un mari et celle de sa femme ne l’est pas. En France on estime que l’écart moyen de revenus entre époux représente près de 23 %. Un écart qui s’explique en partie par un certain nombre d’inégalités systémiques qu’il est toujours bon de rappeler : les femmes occupent majoritairement des emplois sous- valorisés dans des secteurs moins rémunérateurs, elles sont les plus nombreuses à occuper des postes à mi-temps et ont des carrières plus irrégulières, notamment pour cause de maternité… Compte tenu de cet écart, un impôt sur le revenu appliqué de façon identique, avec des taux identiques pour un homme et sa femme, peuvent donc avoir des impacts négatifs directement sur la personne qui gagne le moins. Un couple ne doit-il pas être solidaire me diriez-vous ? Oui ok mais les bons comptes font les bons amoureux aussi !
Et c’est là que Madame y perd…
Combien de fois avez-vous entendu « vous feriez mieux de vous pacser pour payer moins d’impôts ! » ? Ou encore, « évidemment, vous n’êtes pas mariés, c’est pour ça que vous payez beaucoup d’impôts ! » Vous ? C’est qui vous ? Soyons concrets et prenons un exemple : Béatrice est responsable de communication à mi-temps, elle gagne 2000 euros net par mois et Gilles son mari est responsable qualité dans une entreprise, il gagne lui, 3 000 euros. À eux deux, ils paient 3 411 euros d’impôt sur le revenu et leurs salaires sont ponctionnés au taux de prélèvement commun de 5,7 %, soit 114 euros par mois pour Béatrice et 171 euros pour Gilles. Ce qui pose problème c’est que le taux de prélèvement est calculé sur l’ensemble des revenus et non sur les revenus de chacun.
Et c’est là que Madame y perd… Avec le taux de prélèvement à la source individualisé, les résultats de ces calculs seraient différents car soumis à un taux proportionnel aux revenus de chaque membre du couple. Ainsi, Béatrice serait concernée par un taux de 3 %, soit 60 euros prélevés par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) sur son salaire, au lieu de 114 euros. Gilles, de son côté, devrait s’acquitter de 225 euros d’impôt par mois, au lieu de 171 euros, en raison d’un taux individualisé de 7,5 % pour lui.
La situation économique des femmes
Dès la rentrée prochaine, tous les couples nouveaux ou ayant déjà effectué une déclaration commune d’imposition seront concernés par défaut par le taux individualisé de prélèvement à la source. Il se peut que que cette nouvelle mesure ne plaise pas à tout le monde. Madame verra in fine, ses revenus augmenter, quand Monsieur, lui, constatera une diminution des siens après impôts. Même si cette mesure ne règle pas tout en matière de disparités fiscales, Il ne fait nul doute qu’il s’agit là d’une pierre de plus dans le vaste chantier de l’égalité économique entre les femmes et les hommes. Néanmoins de nombreuses questions demeurent car en réalité ce ne sont pas les règles fiscales qui, au fond sont en cause, mais la situation économique des femmes. Et donc leur autonomie. Voilà l’enjeu principal.
Alors en attendant le moment où les femmes auront les mêmes chances de gagner autant voire plus que leur mari, ce dispositif pourra les aider à une plus juste répartition des revenus dans le couple, augmenter leur capacité d’investissement ou encore se constituer un patrimoine ce qui, notamment en cas divorce, pourrait également changer la donne. N’oublions pas que, comme disait ma grand-mère, on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait et qu’il est malheureusement possible que l’amour ne dure pas aussi longtemps que les impôts !
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Pour aller plus loin : « Le sexe de l’impôt » de Lise Chatain, Professeur de droit fiscal à l’université de Bourgogne (Éditions LGDJ)