LA TRIBUNE DIMANCHE —A quoi sert cette Prestation de Service Unique ?
JEAN-EMMANUEL RODOCANACHI — Il s’agit d’une aide ouverte à toutes les haltes garderies, multi-accueils, crèches, micro crèches. Elle prévoit un budget en deux parties, l’une sert aux dépenses d’investissements pour ouvrir de nouvelles structures, et l’autre pour aider au fonctionnement des établissements déjà existants.
Dans ce deuxième cas de figure, la Caf locale donne un montant au gestionnaire de chaque crèche en fonction du nombre d’enfants. La tarification est modulée entre les familles selon les revenus pour permettre une égalité de traitement assurée par le service public, mais le montant individuel ne peut pas être augmenté par la crèche. Le reste est pris en charge par la ville si la crèche est municipale et par les employeurs si elle est privée.
Au total, la PSU représente 50% à 70% du budget d’une crèche, qu’elle soit publique ou privée. Tous les cinq ans, la Cnaf et l’Etat se réunissent pour décider d’une convention d’objectif et de gestion (COG). Celle de 2023 prévoyait 1,4 milliards d’euros pour ouvrir 60.000 nouvelles places de crèches entre 2023 et 2027. Or cette enveloppe n’a pas été utilisée dans sa totalité.
Pourquoi ?
Quand on est en mer en pleine tempête, on baisse les voiles et on se concentre sur notre bateau ! En sortant du covid tout était instable. Nous manquions de personnels, il était devenu plus compliqué d’ouvrir de nouvelles places de crèche. Les gestionnaires ont donc décidé de se concentrer sur celles qui existaient déjà pour travailler sur la qualité, plutôt que la quantité. Il faut savoir que les crèches traversent une période très compliquée. Beaucoup d’établissements ont besoin d’investir pour rester aux normes, et les coûts de fonctionnement (salaires, énergie, nourriture, couches…) ont explosé. Nous aurions donc besoin que ces dépenses d’investissement non utilisées soient sanctuarisées et fléchées vers le fonctionnement.
Mais ce n’est pas ce que Bercy semble privilégier…
La décision finale doit encore être validée par le conseil d’administration de la CNAF, mais Bercy a l’intention de reprendre 200 millions non utilisés cette année, en plus des 300 millions déjà récupérés en 2024, pour aider à combler le déficit de l’Etat. Ce serait dramatique et incompréhensible ! Parce que l’Etat cherche plusieurs dizaines de milliards d’euros, Bercy a arbitré contre la petite enfance, et contre les familles ! Il ne faudra pas que l’Etat s’étonne si demain, à la suite d’un accident en crèche, un gestionnaire engage la responsabilité de l’État pour défaut de fonctionnement. Nous appelons François Bayrou, Catherine Vautrin et Eric Lombard à faire marche arrière. Veut-on vraiment que toutes les crèches de France ferment, ou voulons-nous donner une chance à ce secteur ?
Des centaines de crèches ont déposé le bilan en 2024.
Quelles seront les conséquences concrètes pour les familles ?
Cela aura un effet ciseau négatif et entraînera plus de faillites de crèches encore. Déjà, sur les 21.000 établissements, 84 % des crèches associatives et 50 % des crèches privées sont déficitaires. Des centaines de crèches ont déposé le bilan en 2024. Et il manque 10.000 professionnels. La survie du secteur est donc en jeu. Quand vous n’avez pas de quoi équilibrer le budget d’une crèche, vous fermez des sections ! C’est déjà le cas au quotidien, dans toute la France des familles arrivent le matin devant des établissements aux rideaux baissés à la journée justement pour ces raisons. Et les conséquences sociétales sont immenses. C’est une catastrophe pour l’égalité hommes-femmes, car ce sont souvent les femmes qui mettent leur vie professionnelle entre parenthèses quand elles n’ont pas de solution de garde pour leurs enfants. On nous avait promis que la petite enfance ne serait pas le parent pauvre de la situation économique et politique du pays. Les professionnels de la petite enfance ne sont pas des magiciens, leur résilience commence à arriver au bout du chemin.
Que comptez-vous faire ?
Si Bercy ne revient pas sur cette décision ubuesque, le projet sera soumis au vote lors du prochain conseil d’administration de la CNAF… Nous sommes en train de nous regrouper, gestionnaires, organisations transpartisanes, syndicats, patronat, pour lancer cet été les premières grandes assises de la petite enfance. Nous proposerons des solutions pour ouvrir plus de places, recruter les 10.000 professionnels qu’il nous manque, et on verra où cela nous mène…
Propos recueillis par Fanny Arlandis