La nouvelle stratégie hydrogène de la France doit être présentée ce mercredi par le gouvernement. Des annonces attendues alors que le secteur est confronté à de fortes turbulences ayant déjà entraîné l’arrêt de plusieurs projets et même sociétés.
La Compagnie nationale du Rhône (CNR), producteur d’électricité qui s’est engagée dans la diversification de ses activités en misant sur l’hydrogène, dès 2021, en fait aussi les frais.
Le projet présenté par la CNR en 2022 et dont l’achèvement était prévu cette année, est finalement reporté. Celui-ci consistait à installer un électrolyseur sur le site de la centrale hydroélectrique de Pierre-Bénite, à Saint-Fons pour y produire de l’hydrogène qui devait ensuite être acheminé auprès de deux principaux acteurs de la Vallée de la chimie – Symbio et Hympulsion, pour approvisionner sa station de recharge-. Ce, grâce à un pipeline d’un kilomètre passant sous le Rhône, nommé OH Pierre-Bénite, que l’énergéticien devait construire.
Une réglementation qui freine
Afin de gagner du temps sur le développement du projet, la CNR ambitionnait de raccorder directement l’électrolyseur à sa centrale hydroélectrique afin de ne pas avoir à solliciter RTE dont la contrainte de disponibilité du réseau nécessitait d’attendre 2028.
« Nous avions imaginé qu’en se branchant directement sur la centrale, l’hydrogène produit serait qualifié de renouvelable mais la réglementation, très instable, s’est finalement précisée indiquant que pour être renouvelable, l’hydrogène doit passer par RTE », détaille Frédéric Storck, directeur de l’innovation et de la transition énergétique de la CNR.
Or pour certains des clients visés, le caractère non renouvelable de l’hydrogène produit était rédhibitoire.
A cette première déconvenue s’ajoute l’immaturité du secteur concernant notamment les mécanismes de soutien. « Le soutien à l’investissement dépend d’un seuil, à partir desquels les projets peuvent être éligibles, qui n’a pas arrêté de changer », cite en guise d’exemple Frédéric Storck.
Répondre aux besoins locaux…
Le projet tel qu’il était pensé a donc été mis de côté et sa stratégie repensée (la CNR visait l’installation d’une capacité de production de 60 mégawatts (MW) d’ici à 2030) sans pour autant que son intérêt pour la molécule faiblisse. La société cherche des fonciers qui répondent aux mêmes caractéristiques que le site précédemment choisi, sur les possessions de la CNR ou non. Avec l’idée de « designer » deux produits particuliers -dans la distribution et le stockage d’énergie- qu’elle déploiera ensuite sur d’autres sites. Ce, grâce à l’aide du réseau que NaTran (ex-RGT-Gaz) doit développer en partenariat avec l’Union européenne.
« Quel que soit le projet, l’idée est d’être à proximité d’un centre de consommation avec plusieurs acteurs en développement ce modèle local en attendant que les réseaux de transport [de grandes envergures] arrivent et ensuite de s’y connecter », résume le directeur de l’innovation et de la transition énergétique.
L’idée étant de proposer une montée en puissance des projets en parallèle de celle des besoins, avec l’ajout de stacks. Le premier projet imaginé aurait ainsi débuté avec une puissance de 15 MW pouvant monter jusqu’à 90 MW.
« Notre objectif est de développer un premier projet qui réponde à nos besoins en amont de l’existence de ces réseaux de transport pour un premier client industriel, la mobilité lourde. Et une fois que ces réseaux existeront, nous proposerons de l’hydrogène à d’autres clients qui pourraient être éloignés, le port de Marseille, par exemple », se projette Frédéric Storck.
…puis nationaux
Un projet de dorsale européenne (EHB) visant à déployer de grandes autoroutes d’acheminement d’hydrogène est d’ailleurs en cours d’élaboration à l’échelle européenne. L’un de ses réseaux de canalisation, Hy-Fen, doit traverser la France du sud au nord-est, en direction de l’Allemagne en passant par Lyon et sa région, explique Bérangère Préault, déléguée territoriale Rhône Méditerranée chez NaTran.
Le gestionnaire du réseau de transport de gaz travaille sur le développement d’un réseau avec accès au tiers régulé, c’est-à-dire, ouvert à tous, sans discrimination, pour connecter des producteurs et des consommateurs avec des tarifs définis.
« On déploie des écosystèmes à l’échelle de bassins industriels pour connecter des producteurs et des consommateurs. Ces réseaux territoriaux seront connectés entre eux avec une dorsale dont l’ambition est de connecter l’Europe. On a un projet qui s’appelle H2Med et vise à relier la péninsule ibérique à l’Allemagne avec une infrastructure, sur notre territoire [région AuRA], appelée Hy-Fen ».
Afin de réaliser des tracés correspondant à des besoins concrets et des réseaux bien dimensionnés, un appel à manifestation d’intérêt a été lancé pour H2Med fin 2024.
« On considère que cette infrastructure est un outil d’aménagement du territoire, une source de décarbonation pour les industriels et on travaille actuellement à la connexion de cette autoroute à la Vallée de la chimie dans le cadre du projet Hymagine », confirme par ailleurs Bérangère Préault qui précise néanmoins que NaTran n’est pas partie prenante du projet de la CNR.
Stocker l’énergie produite
Au-delà de la seule décarbonation de l’industrie promise par l’hydrogène, la CNR y voit un intérêt beaucoup plus personnel : améliorer la gestion de sa production d’électricité grâce au stockage d’énergie. Car aujourd’hui l’hydroélectricité est concurrencée par le déploiement massif du solaire.
« Avec le développement du solaire, nous faisons face à de plus en plus de périodes ou la demande ne suit pas la production d’hydroélectricité. On fait déjà varier la puissance du Rhône dans la journée pour produire plus sur les heures de pointe et moins sur les périodes creuses mais cela a ses limites, d’où le besoin de stockage par hydrogène », pointe Frédéric Storck.
L’organisme travaille ainsi sur le stockage en cavité saline, en cours de déploiement dans la région avec Storengy. « C’est un acteur avec lequel on échange, notamment autour de leur démonstrateur Hypster », admet le directeur de l’innovation et de la transition.
Une autre brique s’appuie sur les batteries dont la capacité est néanmoins bien plus réduite. « On est sur quelques dizaines ou centaines de MW stockés alors que le stockage hydrogène donne accès à un ordre supérieur, de l’ordre du TW ».