Faut-il installer des portiques de sécurité à l’entrée des lycées ?


L’assassinat il y a plus d’un an à Arras de l’enseignant Dominique Bernard par un terroriste, qui avait pénétré au sein du groupe scolaire Gambetta-Carnot, avait remis l’idée d’installer des portiques de sécurité à l’entrée des établissements scolaires et déclenché un audit sur leur sécurité. Cinq cents établissements « à risques » avaient été identifiés, dont près de 400 ont été dotés de portiques « anti-intrusion ». Mais au regard de récents événements, la question revient à nouveau sur le tapis, notamment pour les généraliser.

En janvier, une lycéenne de 18 ans a été poignardée par une autre élève près d’un lycée à Privas (Ardèche). En février, un lycéen de 17 ans a été grièvement blessé à l’arme blanche dans la cour de son établissement à Bagneux (Hauts-de-Seine). Fin mars, un jeune de 17 ans est mort après avoir reçu un coup de couteau, devant le lycée professionnel Louis-Armand de Yerres. Ces malheurs ont été suivis presque à chaque fois d’annonces de la ministre de l’Education nationale : les élèves en possession d’une arme blanche dans un établissement scolaire passeront désormais systématiquement en conseil de discipline, et des « fouilles inopinées de sacs » vont être organisées, a-t-elle promis. Et bien sûr, le fameux débat sur les portiques a été relancé sur une chaîne de radio.

De quoi parle-t-on, au juste ? De portiques d’aéroports ?

Mais de quoi parle-t-on, au juste ? De portiques de détection de métaux, comme dans les aéroports ? Ce type de portiques avait été prôné en 2009 par le ministre de l’Éducation Xavier Darcos, lors de la visite d’un établissement en Haute-Garonne, où une enseignante avait été grièvement poignardée. Six ans plus tard, après les attentats de 2015, Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez lui avaient emboîté le pas. Mais tous ont dû faire machine arrière, tout simplement parce que la mesure est impossible à mettre en place. Pour un lycée de 800 élèves, il faudrait au minimum une heure à l’entrée des établissements pour faire entrer tout le monde, constatait à l’époque un enseignant-chercheur.

« Nous avons fait venir une entreprise spécialisée dans un établissement parisien, et la conclusion était que le flux est tellement important que ce n’est pas envisageable », explique Nicolas Bray, secrétaire académique pour Paris du SNPDEN-Unsa, syndicat des personnels de direction. Aucun établissement en France n’en aurait jamais installé, estiment Nicolas Bray et Olivier Beaufrère, secrétaire national du même syndicat.

En revanche, il y a bien des portiques filtrant avec badges. Selon Auvergne-Rhône-Alpes, contactée par 20 Minutes, 285 établissements sur les 304 lycées publics que compte la région seraient équipés de système de filtrage à l’entrée, qu’il s’agisse de tripodes, façon métro parisien, de tourniquets, tout en hauteur, ou de sas d’entrée, avec une double porte. Mais pour quelle efficacité ?

« Cela n’empêche pas les tueries de masse »

Parmi les opposants aux portiques de sécurité, il y a celles et ceux qui jugent que le dispositif est tout simplement peu efficient. C’est le cas du proviseur d’un lycée de Bron, dans la métropole de Lyon, qui racontait dans une interview à BFM TV en octobre 2023 que les lecteurs de carte des portiques avaient été vandalisés à plusieurs reprises, et n’étaient donc « plus remplacés » car « trop coûteux ». Dans d’autres établissements, l’installation d’un système de filtrage s’est avérée trop complexe, en raison de contraintes sur le bâti, ou des points d’entrée trop vastes, reconnaît la région. Dans une interview au Parisien en 2017, le professeur d’université émérite en sciences de l’éducation Eric Debarbieux estimait aussi que les portiques pouvaient créer plus d’insécurité que de sécurité, en freinant les entrées, en en créant ainsi « des attroupements dangereux devant les établissements ». D’autant que les portiques de sécurité n’évitent pas toujours les intrusions dangereuses. « Aux Etats-Unis, ils ont des vigiles à l’entrée des établissements, ils sécurisent de façon considérable, et les tueries de masse ne sont pas empêchées », fait remarquer Nicolas Bray.

Plus généralement, les opposants et opposantes aux portiques jugent qu’ils entretiennent une fausse idée, selon laquelle la violence viendrait de l’extérieur. Or, rappelle Eric Debarbieux dans Zéro Pointé ? Une histoire politique de la violence à l’école, publié en janvier aux Editions Les liens qui libèrent, la violence exogène est tout à fait minime, par rapport à la violence qui sévit au sein de l’école : c’est moins de 5 % des faits.

Personne ne s’est par ailleurs interrogé sur les effets psychologiques de l’installation de tels dispositifs, soulève Pascal Clerc, professeur de géographie à l’université de Cergy-Pontoise : « Au fil des textes institutionnels et des articles de presse analysés sur ces enjeux de « sécurisation « , je n’ai guère trouvé de développements sur leurs possibles effets. Le rouleau compresseur de la sécurisation a pris le pas sur la réflexion éducative », critique-t-il. Les élèves peuvent ressentir une forme de méfiance venant de l’institution. « Se savoir surveillé modifie les comportements et les interactions, notamment en neutralisant l’expression des opinions contradictoires ou minoritaires » notait aussi le directeur de l’Institut du développement territorial, dans un texte paru sur The Conversation.

« Cela facilite la tâche »

Ceci dit, sur le terrain, les équipes éducatives peuvent aussi trouver des vertus à ces portiques. C’est le cas de Nicolas, CPE dans un établissement de centre-ville de Haute-Savoie, qui estime qu’ils ont un « effet dissuasif ». Des portiques ont été installés dans son lycée l’été dernier, et depuis, il a vu les intrusions d’élèves extérieurs se réduire. « Nous avions en moyenne cinq intrusions par an. Depuis qu’on a ces portiques, nous n’en avons eu aucune », note-t-il. « Nous n’avons pas beaucoup d’assistants d’éducation [comprendre de surveillants]. Et quand tu fais entrer 2.000 élèves en un quart d’heure, c’est compliqué de les filtrer. Nous avons huit portiques, quatre de chaque côté. Au début, cela faisait des queues monstrueuses, mais maintenant les élèves se sont adaptés, certains viennent plus tôt » constate-t-il, plutôt satisfait. Il reconnaît toutefois qu’il n’y a « pas de système inviolable ».

Les syndicats eux-mêmes semblent avoir infléchi leurs positions, alors que beaucoup se montraient plutôt réticents au départ. C’est le cas du SNPDEN : « Au départ [il y a huit ans], quand les premiers portails tourniquet sont arrivés, nous nous disions que cela ralentissait les entrées. Mais en réalité, ça va, explique Olivier Beaufrère. Si les portiques sont bien dimensionnés, il n’est pas inintéressant de mettre en place des systèmes qui peuvent rassurer. Nous ne sommes pas opposés à des éléments qui apportent une garantie supplémentaire. Ceci dit, il nous faut surtout des moyens humains, c’est l’incontournable. »



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