
«Je suis restée complètement coite quand elle m’a annoncé que je paierais cinq euros de plus pour une simple question… » Six mois plus tard, Naelle est encore interloquée. Au début du mois de décembre dernier, alors qu’elle voyait son médecin généraliste du 13e arrondissement de Paris pour un petit virus hivernal, elle a eu la surprise de voir sa « docteure » lui facturer une simple question.
Une tendance qui semble se répandre chez les praticiens qui surfacturent certaines observations ou questions additionnelles au motif initial de la consultation. Si la pratique est difficile à quantifier, plusieurs témoignages reçus par 20 Minutes, de patients comme de médecins, montrent qu’une certaine habitude commence à s’installer.
Une majoration de cinq euros pour une question
« À la fin de la séance, alors qu’elle me faisait une ordonnance, je lui ai juste demandé si elle pouvait me donner un avis sur un grain de beauté que j’ai sur les côtes et qui me donnait l’impression de grandir, se remémore Naelle, j’ai soulevé mon t-shirt, elle a à peine regardé cinq secondes. »
Un échange banal selon la patiente. Mais le temps pour son médecin de noter les coordonnées d’un dermatologue sur un post-it et de lui recommander de l’appeler « de [sa] part » que la praticienne lui annonce que sa consultation sera majorée de cinq euros pour la deuxième question. « Elle m’a dit, “vous comprenez, c’est comme une seconde consultation, il faut bien que je facture” », rapporte Naelle qui n’a pas su quoi répondre sur le fait. « Quelques euros, ça ne va pas me tuer, mais j’ai quand même trouvé ça un peu culotté. »
« Cela qui va arranger le trou de la Sécu »
Raphaël a connu une expérience similaire à Caen au début de ce mois d’avril. Venu voir son médecin pour renouveler un arrêt de travail après une opération chirurgicale légère, il en profite pour faire part de certains troubles digestifs. Après un échange de quelques minutes sur le sujet, le médecin lui annonce qu’il lui facture deux consultations, soit deux fois trente euros (le tarif des consultations a été majoré au 1er janvier 2025).
« J’ai trouvé ça scandaleux, cela ne lui a pris que 3 ou 4 minutes au plus. Je lui ai fait savoir gentiment et il m’a répondu que si tout le monde faisait cela, il ne pourrait prendre que la moitié des patients qu’il prend actuellement par jour. Ça fait quand même cher à la minute et puis ce n’est pas cela qui va arranger le trou de la Sécu… », souffle-t-il.
La « Sécu » confirme qu’il n’est pas légal de surfacturer à quelques exceptions près
Contactée par 20 Minutes, la assurance-maladie.ameli.fr/qui-sommes-nous/organisation/cnam-tete-reseau » rel= »nofollow » target= »_blank » class= »color-ultramarine c-link »>Caisse nationale d’assurance Maladie (CNAM) indique que la pratique n’est pas légale : « La convention médicale et la nomenclature des actes médicaux définissent les situations où il est possible de facturer des majorations. Sauf exceptions, le fait de consulter pour plusieurs motifs n’en fait pas partie. »
La CNAM ajoute tout de même qu’il est « prévu que les dépassements pour exigences particulières ne puissent être facturés par les médecins qu’en cas de circonstances exceptionnelles de temps (par exemple tard le soir ou tôt le matin) et de lieu dues à une exigence particulière du patient qui ne doit pas être liée à un motif médical », les médecins qui abuserait de ce dépassement, s’exposent à des « sanctions conventionnelles ».
Trop de patients, pas assez de temps
Solène*, « généraliste » dans la région d’Annecy, sait que la surfacturation pour plusieurs motifs est interdite, elle défend pourtant cette position : « Il faut comprendre qu’on reçoit les patients à la chaîne. Entre le manque de praticiens et certains patients qui viennent pour un oui ou pour un non, on ne peut pas faire un bilan de santé complet pour chaque patient. C’est aussi une manière de le faire comprendre. Et puis cela veut mieux que de leur demander de prendre un nouveau rendez-vous. »
Un peu moins pédagogue, Charles* qui a installé son cabinet en Indre-et-Loire en 2024, assume totalement la surfacturation des consultations : « Plusieurs motifs, cela implique de mobiliser plusieurs compétences, des connaissances, de la concentration. Cela revient à faire plusieurs consultations. Si vous demandez à un garagiste de faire une vidange et de gonfler vos pneus, vous ne vous plaignez pas qu’il facture les deux ? Idem si vous allez chez le coiffeur et que vous lui demandez de vous faire la barbe en plus non ? Ben ici c’est pareil. »
S’il n’applique pas la majoration systématiquement, Charles* assure n’avoir aucun scrupule à le faire quand les patients confondent son cabinet « avec le bureau des pleurs » : « Je suis désolé de le dire aussi sèchement, mais certaines personnes viennent nous voir parce qu’elles ne vont pas bien dans la vie en général, parce qu’elles se sentent seules, ou parce qu’elles ont besoin de parler tout simplement. Bien sûr qu’il faut les aider, mais on ne peut pas se substituer à un psychologue. Il y a parfois de l’abus. »
Un contexte difficile, des patients compréhensifs
Un abus qui s’ajoute à la situation actuelle selon Solène : « Cela existe depuis longtemps mais ça s’est développé ces dernières années avec les revendications d’augmenter le montant du tarif de la consultation et ça ne va pas s’arranger avec le gouvernement qui veut nous imposer de travailler dans des déserts médicaux… »
Si la CNAM invite les patients qui sont amenés à payer « un surcoût » non justifié, à contacter le Conseil départemental de l’Ordre concerné, il n’est toutefois pas certain que les signalements soient si nombreux. Parmi les témoignages de patients que nous avons reçus, une majorité d’entre eux semblent préférer laisser couler.
Marjorie, l’une d’entre eux résume bien : « C’est vrai qu’il y a des gens qui vont chez le médecin pour des broutilles, alors que c’est déjà difficile d’avoir des rendez-vous. Et puis quand on voit le prix de la consultation, et le remboursement qu’on reçoit, et qu’on le compare aux tarifs d’un serrurier ou de certains psys, on relativise… »