
14 avril 2025 à 16h00
Mis à jour le 14 avril 2025 à 18h12
Durée de lecture : 4 minutes
Exportations de gaz et pétrole par les États-Unis et la Russie, denrées agricoles par l’Argentine et le Brésil — précédemment gouverné par Jair Bolsonaro —, métaux rares pour la Chine… Pour asseoir leur puissance, les pays dirigés de manière autoritaire s’appuient sur leur forte dotation en ressources naturelles. Des ressources dont nous sommes fortement dépendants et dont l’exploitation et l’utilisation participent au réchauffement climatique. Selon l’économiste et chercheur à l’Inrae Philippe Delacote, la sobriété peut être un moyen de résister face à ces régimes autoritaires. De quoi les priver de leur pouvoir économique et stratégique.
Reporterre — Comment la sobriété permettrait-elle d’influencer le contexte géopolitique et de réduire notamment l’influence des pays autoritaires ?
Philippe Delacote — Les pays qui font reposer une partie importante de leur activité économique sur l’exploitation des ressources naturelles (pétrole, gaz, terres rares, fertilisants azotés, denrées liées à la déforestation, etc.), et qui nous les exportent massivement, sont souvent des régimes autoritaires. Je pense notamment aux États-Unis avec Donald Trump, à la Russie avec Vladimir Poutine, à l’Argentine avec Javier Milei, à la Chine avec Xi Jinping.
L’exploitation des ressources naturelles est fortement utilisée par ces régimes autoritaires pour asseoir leur pouvoir. Elle nécessite souvent des investissements importants, favorisant la concentration des pouvoirs économiques et pouvant conduire à une concentration des pouvoirs politiques, et donc à une oligarchie. Les revenus tirés de cette exploitation sont donc susceptibles de ne profiter qu’à une minorité de la population et génèrent une rente pour le pouvoir, qu’il peut utiliser pour se maintenir en place. On parle de malédiction des ressources.
« Toute croissance économique
n’est pas bonne »
Ainsi, réduire notre dépendance aux ressources naturelles par une politique de sobriété, c’est réduire notre dépendance à des régimes autoritaires et leur retirer un pouvoir économique sur lequel ils s’appuient.
Cette tendance à la sobriété forcerait aussi les pays extracteurs à se tourner vers d’autres secteurs économiques et cela profiterait davantage aux populations locales. Souvent, l’extraction de ressources naturelles se fait dans une zone géographique délimitée, dont les effets néfastes sur l’environnement et la santé des habitants locaux sont bien connus.
Comment définissez-vous une politique de sobriété ?
Généralement, lorsque les politiques parlent de sobriété, ils mettent surtout en avant la notion d’efficacité. Autrement dit, à un niveau de production constant, l’utilisation de moins de ressources. Alors que la notion de sobriété peut se définir comme un évitement des consommations et des productions que l’on considère comme superflues. Le terme de « superflu » est bien sûr très personnel, il diffère chez chacun d’entre nous.
La sobriété revient donc à une restriction de certaines consommations, de manière volontaire ou suite à des incitations de politiques publiques. En effet, on rattache souvent la sobriété à des choix individuels (réduire sa consommation de protéines animales et les substituer à des protéines végétales, par exemple). Or, il existe aussi des politiques publiques qui peuvent conduire à davantage de sobriété.
Favoriser l’isolation des logements et notamment des passoires thermiques peut conduire à une réduction de la consommation énergétique, à confort égal. De même, des politiques de transport ambitieuses et privilégiant les mobilités douces et les transports en commun permettent une plus grande sobriété dans l’usage de la voiture individuelle.
Pourquoi la sobriété est-elle souvent le parent pauvre des politiques environnementales en France ?
Pour beaucoup, sobriété implique décroissance. Personnellement, je parlerais plutôt de décroissance sélective : certains secteurs, notamment du fait de leurs nuisances environnementales, devraient décroître.
Le problème, c’est que nos systèmes économiques et nos finances publiques sont construits sur la recherche de la croissance économique. Il est donc difficile pour un politique d’assumer le fait que certaines consommations devraient diminuer, que toute croissance économique n’est pas bonne. Il suffit de voir l’extrême « prudence » de nombreux politiques lorsque l’on dit qu’il faudrait consommer moins de viande pour des raisons environnementales ou moins d’alcool pour des raisons sanitaires.
legende