
Face à la crise de l’accès aux soins, le gouvernement envisage d’imposer aux médecins libéraux jusqu’à deux jours par mois dans les déserts médicaux. Une mauvaise idée, selon Jérôme Marty, médecin généraliste et président du syndicat indépendant de médecins UFML, qui pointe une méconnaissance des réalités du terrain.
La Dépêche du Midi : Le Premier ministre veut obliger les médecins à consulter dans les déserts médicaux jusqu’à deux jours par mois. Est-ce selon vous une réponse adaptée à la crise d’accès aux soins ?
Jérôme Marty : Cette mesure est ni faite ni à faire. Rien n’est dit sur les modalités concrètes : comment un spécialiste, comme un ophtalmologue, pourrait-il exercer sans son plateau technique ? Qui prendra en charge l’organisation logistique ? Ce flou laisse penser qu’il s’agit davantage d’un effet d’annonce que d’une réponse sérieuse. Pire, on parle d’ »exiger » cet engagement des médecins libéraux.
Or, un médecin libéral n’est pas un agent public, il ne peut être soumis à une obligation de service. Ce discours marque une incompréhension profonde du fonctionnement de la médecine libérale. Le gouvernement veut donner l’illusion d’agir, sans s’attaquer aux causes du problème : l’organisation du système et l’attractivité de la profession.
Faut-il vraiment craindre une « surpopulation médicale », comme l’affirme le président de l’Ordre des médecins, dans les années à venir ?
Je suis totalement d’accord. Aujourd’hui, il y a suffisamment de médecins, mais trop peu s’installent sur le territoire. Plus de 25 000 seraient prêts à le faire, mais les conditions ne sont pas réunies. On pourra former autant de praticiens qu’on veut, cela ne changera rien si l’exercice reste aussi peu attractif. Depuis des années, les décisions politiques échouent à améliorer le quotidien des médecins : conditions de travail dégradées, reconnaissance insuffisante, surcharge administrative. En médecine générale, seuls 55 000 des 80 000 inscrits à l’Ordre exercent effectivement.
Quelles mesures concrètes pourraient faciliter l’installation des médecins et améliorer durablement l’accès aux soins ?
Il faut d’abord cesser de parler de déserts médicaux et reconnaître qu’il s’agit d’un problème d’accès aux soins. À Toulouse, les médecins sont là, mais près de 100 000 personnes n’ont pas de médecin traitant. Il faut créer des pôles de santé complets dans les zones tendues. Il faut faciliter l’exercice multisites, permettre aux médecins d’exercer sur plusieurs lieux sans obstacle réglementaire, et surtout valoriser ceux qui s’engagent. Un médecin qui consacre une journée par semaine à un territoire fragile devrait pouvoir bénéficier du secteur 2 dans son cabinet principal. Même chose pour ceux qui s’investissent à l’hôpital, où un quart des postes sont aujourd’hui vacants.
Mais il faut aller plus loin. Il est urgent de revoir l’organisation globale de l’exercice libéral. Les arrêts de travail de moins de trois jours pourraient être autodéclarés. Les certificats de sport, les prescriptions de matériel ou certains protocoles de soins infirmiers devraient être délégués à des professionnels mieux formés pour les gérer. Il faut soutenir les assistants médicaux, mieux rémunérer les visites à domicile, former les jeunes à la gestion d’un cabinet et développer les terrains de stage dans le secteur privé.
Il faut aussi doter les médecins d’outils de suivi en temps réel de leur patientèle pour savoir immédiatement s’ils peuvent rouvrir à de nouveaux patients. Et surtout, mieux informer la population sur l’offre existante. La permanence des soins couvre 95 % du territoire, mais elle reste méconnue. Quand j’ouvre mon cabinet le soir, je reçois 10 à 12 patients. Quand je suis de garde via le Samu, j’en vois un ou deux. Les patients ne savent pas qu’un médecin de garde est disponible en appelant le 15.