
George Lucas aurait-il décidé, à quatre-vingts ans, de réaliser un nouveau Star Wars ? On pourrait le croire en voyant cette image d’un étrange personnage, aux faux airs de Dark Vador, l’incontournable méchant de la trilogie d’origine. On retrouve ici les codes couleur de la légendaire saga : cette espèce d’androïde vêtu d’une ample robe noire, paré d’un masque à gaz, fait face à une rangée d’autres personnages sans visage, casqués de blanc.
La source de la lumière venue de la gauche n’est pas visible, mais ce pourrait bien être celle d’un puissant projecteur. Le faisceau lumineux, surplombant, révèle la grisaille au vert bleuté d’une atmosphère enfumée. Et accentue dans le même temps le sentiment cinématographique de cette scène irréelle, post-apocalyptique.
Colère populaire
Cette photographie d’actualité a été prise à Istanbul le dimanche 23 mars 2025, lorsqu’une foule immense est descendue dans la rue pour protester contre la mise en examen et l’arrestation ce même jour du maire de la ville, Ekrem Imamoglu. Le populaire opposant au président Recep Tayyip Erdogan s’apprêtait à annoncer sa candidature à la prochaine élection présidentielle, prévue en 2028.
La justice, aux ordres du pouvoir, a accusé l’édile de corruption pour l’empêcher de se présenter, ce qui a immédiatement déclenché la colère populaire. Comme celle de ce manifestant masqué pour se protéger des grenades lacrymogènes.
Janvier 2025
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Danser jusqu’à la transe
Vêtu comme un derviche tourneur, il est coiffé du couvre-chef caractéristique, en feutre couleur caramel, que portent les soufis adeptes de Rûmî, poète et mystique du 13e siècle. L’homme est saisi par l’objectif au moment où il écarte les bras, comme s’il allait entamer la danse qui devrait le mener vers la transe, devant les boucliers des policiers de la force anti-émeutes.
Issu de la presse quotidienne, le photographe Murad Sezer, de l’agence Reuters, couvre l’actualité sociale mais aussi le sport : son œil a su capter cet instant où la lumière accrochait les reliefs et transformait l’individu en extraterrestre.
Comme une jeune fille à la fleur
La posture pacifique du manifestant rappelle la célèbre photographie que Marc Riboud prit en 1967 : Jeune Fille à la fleur montre une femme devant le Pentagone, à Washington, protestant contre la guerre au Vietnam (visible jusqu’au 12 mai 2025 au musée Guimet, à Paris, dans l’exposition Marc Riboud. Photographies du Vietnam 1966-1976).
Mais l’image prise à Istanbul est stylistiquement bien différente : outre la finesse de la couleur, dominent ici l’étrangeté de la scène et une allusion implicite aux masques traditionnels et à leurs déclinaisons contemporaines – on pense notamment aux sculptures du plasticien béninois Romuald Hazoumè, conçues à partir de matériaux de récupération, ou aux masques hindous photographiés par Charles Fréger.
À l’heure où nous publions cet article, Ekrem Imamoglu reste emprisonné. Les manifestations contre l’autoritarisme du régime d’Erdogan et pour la démocratie n’ont jamais cessé depuis le 23 mars. Des milliers d’opposants au régime ainsi que des journalistes ont été arrêtés.
Crédit photo : Murad Sezer / Reuters