
Kentucky (États-Unis), reportage
Chaque matin, Andre et Whitney Faul déplacent les quatre poulaillers dans leurs champs vallonnés pour offrir de l’herbe fraîche à l’élevage. Parmi les poules qui caquettent, plus d’un tiers devait être vendues à des écoles locales. Les dates chez le transformateur étaient fixées et les livraisons prévues. Mais début mars, Andre Faul a appris par un simple communiqué que les écoles ne pourraient pas honorer leurs commandes.
Le ministère étasunien de l’Agriculture (USDA) a mis fin au financement du programme « Local Food for Schools » (« Nourriture locale pour les écoles »). Le gouvernement allouait depuis 2022 des fonds à des établissements scolaires pour que leurs cantines puissent s’approvisionner chez des agriculteurs locaux. Le programme aurait dû être un investissement de 660 millions de dollars en 2025, répartis entre 40 États.
Une coupe budgétaire de plus parmi toutes celles menées par le gouvernement de Donald Trump et le Département de l’efficacité gouvernementale (Doge) dirigé par Elon Musk. Un programme similaire pour les banques alimentaires a également vu ses fonds coupés.
« C’est terrible de voir quelque chose de si bénéfique être arrêté sans aucune raison », regrette Andre Faul, casquette et sweat à capuche, au milieu de sa grange décorée de lumières, reconvertie dans l’événementiel pour compléter les revenus de la ferme.
La ferme Faul Family Riverside, à Sulphur, dans le Kentucky, le 7 avril 2025.
© Edward Maille / Reporterre
Le trentenaire avait déjà reçu une partie des 1 500 poussins commandés pour des écoles, sur une production totale de 5 500 dans sa ferme Faul Family Riverside, à Sulphur, dans le Kentucky. « Le programme aidait les fermes et rendait le système alimentaire local plus résilient, tout en offrant des déjeuners plus sains aux enfants », explique l’éleveur, qui « ne comprend pas pourquoi quelqu’un pourrait être contre cela ».
Les ventes aux écoles ont rapporté 50 000 dollars à la ferme l’année dernière, soit un sixième de leur revenu total. « Ce n’est pas une somme immense, mais tout est important quand vous avez une petite entreprise, explique-t-il.

La ferme Faul Family Riverside, à Sulphur, dans le Kentucky, le 7 avril 2025.
© Edward Maille / Reporterre
Même si Andre Faul a voté pour Kamala Harris à la dernière présidentielle, il s’attendait tout de même à ce que Donald Trump soit « pro-agriculteurs », compte tenu de sa popularité dans les milieux ruraux. « Il y a beaucoup de gâchis dans les dépenses de l’administration publique, mais je ne pense pas que ce programme en faisait partie », estime-t-il. Le programme avait été lancé sous la présidence de Joe Biden pour aider les petits agriculteurs.
Face aux frais déjà engagés que l’école ne peut désormais plus payer, le couple a lancé une cagnotte. 4 000 dollars récoltés en deux semaines. De quoi assurer la première livraison à l’école « sans perdre d’argent, mais sans faire de profit ». Mais la ferme cherche dorénavant une autre solution pour les 16 000 dollars déjà investis pour le reste des commandes annulées.
L’annonce de la fin des fonds « m’a brisé le cœur », explique Whitney Faul, cogérante de la ferme. La trentenaire se navre des conséquences pour son activité, mais s’émeut surtout pour les enfants « qui n’auront plus accès à cette nourriture de bonne qualité ». Elle n’est pas la seule. Après l’annonce de l’arrêt des fonds, la responsable de la nutrition des écoles où étaient prévus les produits les a appelés, en larmes, à l’idée d’annuler les commandes.
« Ça met tout le monde dans une situation difficile »
Dans le comté d’Oldham, juste à côté, Carlina Loyd veille à l’alimentation de 6 000 élèves au quotidien, de la maternelle au lycée, en tant que directrice pour la nutrition des établissements scolaires du comté. Son district a bénéficié de plus de 92 000 dollars ces deux dernières années à dépenser chez des producteurs locaux. Des fonds que le gouvernement n’a pas reconduits. Les écoles avaient pourtant obtenu cette promesse en janvier, voire même « qu’[ils] aurai[en]t possiblement plus d’argent », se désole Carlina Loyd, dans son bureau à Crestwood.
À quelques minutes en voiture, la quadragénaire fait visiter avec fierté l’une des cantines. Dans la chambre froide, l’un des derniers paquets sous vide de viande d’un autre agriculteur. Les menus étaient déjà prêts pour l’année 2025-2026, les commandes passées avec les producteurs. « Certains agriculteurs ont investi dans leur ferme, d’autres ont dédié des parcelles pour les écoles. Les écoles vont-elles trouver les fonds pour les payer ? Où devront-elles arrêter les commandes ? Ça met tout le monde dans une situation difficile », regrette-t-elle.

Carlina Loyd montre l’un des derniers produits de viande reçu grâce au programme, le 4 avril 2025, dans la comté d’Oldham.
© Edward Maille / Reporterre
Celle qui vient d’une famille d’agriculteurs de l’État voisin du Missouri espérait retrouver cette communauté établie autour de petites productions agricoles, loin des immenses groupes agro-alimentaires. Ils devront désormais se rabattre sur d’autres distributeurs alimentaires. « C’est très difficile d’obtenir des produits frais et locaux, même si leur qualité est meilleure. Ils sont plus chers, et notre budget est déjà limité. » En offrant une stabilité financière à des agriculteurs et une alimentation de qualité, le programme était pourtant « gagnant-gagnant ».
Offrir une alimentation plus équilibrée aux enfants, c’était justement le rêve de Matt Velasquez. Ce commercial dans une entreprise de chauffage et de climatiseurs a lancé il y a quelques années avec sa famille une ferme dans le sous-sol de leur maison, à Louisville.
D’un côté se trouvent les boîtes de rangement et tout ce que l’on trouve dans un garage familial. De l’autre côté, après avoir traversé une bâche, de fines tiges poussent sous des lumières artificielles. Les bacs de micropousses — comme du maïs, des radis et de la coriandre — sont récoltés après seulement quelques semaines, alors que le légume n’a pas encore pris sa forme. La méthode offre selon lui des produits plus nutritifs. Les tiges peuvent ensuite être utilisées sur des salades, sandwichs et autres plats.

Matt Velasquez, chez lui à Louisville, le 9 avril 2025.
© Edward Maille / Reporterre
À l’automne dernier, la ferme Morningfreshgrowers a commencé à délaisser les ventes aux restaurants au profit des établissements scolaires. « Les fonds alloués [du gouvernement], ont donné aux écoles la possibilité d’explorer d’autres options », comme ces micropousses. Et après des présentations et échantillons fournis par Matt Velasquez, certains établissements scolaires, dont ceux du comté d’Oldham, ont passé commande. « C’était formidable pour nous », raconte le père de quatre enfants, qui rêve de s’occuper de sa petite ferme à plein temps.
La vente aux écoles a fini par représenter 80 % de leur activité. Assez pour donner espoir au quadragénaire de pouvoir vivre de sa passion. « Nous espérions y réussir cette année. » Mais la fin des financements des écoles a entraîné la fin de nombreuses commandes. « C’est décevant », regrette-t-il. Cet électeur de Donald Trump ne regrette pas son bulletin de vote et dit comprendre la volonté de réduire les dépenses publiques, mais pas l’intérêt de le faire avec ce programme. Il souligne aussi la promesse de campagne du président de « rendre à l’Amérique sa santé » (Make America Healthy Again).
Avec le désormais ministre de la Santé, R.F. Kennedy, le gouvernement avait promis d’améliorer la santé des Étasuniens, notamment grâce à une meilleure alimentation. « L’arrêt des financements va contre son programme, regrette Matt. Car pour cela, nous avons besoin de nos fermiers. »
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