
À elles deux, les chaînes TikTok « Actu France 25 » et « Actu Time » ont cumulé près d’un million et demi de vues avec cette annonce : la création prochaine d’une « compensation affective », qui s’ajouterait à la pension alimentaire en cas de parents séparés. D’après ces vidéos, « l’objectif affiché par le ministère de la Justice est de reconnaître l’impact émotionnel qu’un enfant peut ressentir lorsqu’un des deux parents est moins présent au quotidien ». La voix off cite ensuite « des sources relayées par BFMTV », selon lesquelles « cette compensation affective viserait à encourager une présence plus équilibrée des deux parents et à limiter les ruptures de lien familial ». La mesure s’appliquerait « si l’enfant passe plus de 60 % de son temps chez un seul parent ». Alors, l’autre parent devrait s’acquitter d’une compensation financière.
Sans surprise, la nouvelle génère de vives réactions chez les internautes, avec plus de 2.500 commentaires pour les deux vidéos, la plupart indignés.
FAKE OFF
L’intérêt généré par ce contenu n’a pas de quoi surprendre : en 2020, selon l’INSEE, plus de 4 millions d’enfants avaient des parents séparés en France, dont 12 % seulement étaient en garde alternée. Une telle mesure affecterait donc des centaines de milliers de parents. Qu’ils se rassurent, il n’en a jamais été question dans l’Hémicycle.
On cherche vainement une telle annonce sur le site de BFMTV et, plus étonnant encore, entrer les mots « compensation affective » sur les moteurs de recherche ne mène à aucune occurrence synonyme. Si ce terme est bien employé en psychologie et en addictologie, son usage en matière de droit des familles semble se limiter à nos vidéos TikTok et à leurs clones.
Pourquoi c’était forcément faux ?
Le droit de visite d’un parent séparé est une notion juridique complexe : selon Servicepublic.fr, « Le droit de visite et d’hébergement fixé par jugement ou dans une convention est un devoir. Il doit être exercé par le parent. » L’article 373-2 du Code civil précise en outre que « chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant ». La notion même d’un « droit » qui serait en même temps un « devoir » est pourtant confuse : en général, c’est l’un ou l’autre. En conséquence, toujours d’après Servicepublic.fr, « il n’existe cependant aucune sanction ou procédure judiciaire pour obliger le parent à prendre l’enfant ».
Il en va évidemment de l’intérêt des enfants eux-mêmes : un parent contraint par la loi à s’occuper d’un enfant pourrait être plus enclin à la négligence, voire à la maltraitance.
De plus, la garde alternée ne dépend pas que de la bonne volonté des parents. Si l’un des deux exige une garde « classique » en sa faveur ou si l’intérêt de l’enfant est en jeu, la décision appartient au juge des affaires familiales, qui peut trancher en défaveur d’une garde alternée. De multiples facteurs sont pris en considération, comme l’âge de l’enfant et la proximité géographique.
Enfin, le montant de la pension alimentaire, qui a pour objectif de veiller à l’équilibre des « frais liés à l’entretien et à l’éducation de l’enfant », prend déjà en compte la répartition du droit de visite.
Les signes qui ne trompent pas
Si plus d’un million d’internautes se sont fait berner, c’est qu’ils n’ont pas prêté attention aux signes flagrants d’une infox. Les fausses « chaînes d’info » pullulent sur TikTok, mais leurs contenus, généralement générés par des IA, n’imitent que très maladroitement leurs modèles télévisés. Dans le cas des contenus qui nous intéressent aujourd’hui, on relève par exemple :
- Des images et des bandeaux dont le texte est sans lien avec l’info traitée (ici, « réunion de crise », « riposte » et « Donald Trump »).
- Des incohérences syntaxiques et narratives flagrantes : la vidéo commence par annoncer que « c’est officiel, désormais, en France, les parents divorcés devront verser une compensation affective » (c’est acté, avec un emploi du présent et du futur), puis explique que « cette mesure, actuellement en discussion, pourrait entrer en vigueur dès 2026 » (ça n’est plus acté, mais débattu, avec un emploi du conditionnel).