« C’est une aberration. C’est tout l’inverse de ce qu’il faut faire », soupire Hervé Caël, président du Conseil Régional de l’Ordre des Médecins en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Alors que les chiffres dressent un constat inquiètant – 87 % du territoire national est classé en désert médical, 6 millions de Français sont sans médecin traitant -, le Sud ne fait pas exception. Le territoire, qui dispose de 30 000 professionnels inscrits à l’Ordre des médecins, toutes spécialités confondues, est plutôt « réputé pour avoir une densité médicale supérieure à la densité nationale » : en 2023, 171 médecins généralistes pour 100 000 habitants dans le Sud, contre 147 dans la moyenne des régions françaises. Un chiffre cependant « en baisse constante depuis 2020 », observe Emilie Mercadal, co-fondatrice de la plateforme de télé-expertise et téléconsultation Rofim, née à Marseille.
Les six départements qui composent la région disposent chacun d’une démographie et une géographie très diverses, certains basés en zone littorale quand d’autres, à l’instar des Alpes de Haute-Provence et des Hautes-Alpes sont plus montagnards. Pour autant, Hervé Caël assure que « plus aucun département ni secteur n’est épargné » par la progression de déserts médicaux. « On ne peut plus opposer zone rurale et zone urbaine. La problématique de l’accès aux soins existe aussi bien dans les métropoles de la région que dans les zones reculées ». Une problématique confirmée par Emilie Mercadal, qui souligne toutefois une différence entre les généralistes toujours moins nombreux et les spécialistes qui, face à une forte concurrence médicale, se concentrent à des endroits accessibles comme les centres-villes des métropoles créant des zones « surmédicalisées » au détriment des quartiers Nord de Marseille, par exemple, « sous-médicalisés ».
Inciter plutôt qu’obliger
Pour lutter contre les déserts médicaux en France et endiguer la pénurie de médecins, l’Assemblée nationale étudie, depuis début avril, la proposition de loi transpartisane Garot et a adopté son premier article visant à réguler l’installation de médecins sur le territoire au moyen d’une autorisation d’installation délivrée par l’ARS. Une autorisation qui sera « de droit » dans les zones sous-dotées de professionnels de santé, alors même que « les jeunes médecins choisissent aujourd’hui leur lieu d’exercice en fonction d’un environnement qui permettra un accès à la scolarisation des enfants, à des commerces, à des logements, et à des activités », décrypte Hervé Caël. Le Premier ministre François Bayrou a également dévoilé une nouvelle mesure visant à imposer aux médecins deux jours par mois de consultation dans les déserts médicaux. Des mesures jugées coercitives par Hervé Caël, « alors qu’il faudrait des mesures incitatives. Personne, sur le terrain, n’y croit ».
Car les nombreux opposants à ces mesures craignent la perte d’attractivité du domaine médical, notamment chez les jeunes. « Tout est lié au nombre d’étudiants en médecine : après le numerus clausus, on a finalement fait machine arrière et aujourd’hui, ce sont 11.000 étudiants qui réussissent le concours de première année de médecine chaque année. Mais il faut dix à quinze ans pour former ces futurs médecins », analyse Hervé Caël. « Ce ne sera qu’à partir de ce moment-là que la pénurie se régulera toute seule, et que nous retrouverons un nombre de médecins suffisant ». Pour atteindre cet équilibre, il faut que « le secteur soit attractif. Mais ces décisions prises sans concertation et de façon uniforme sur le territoire vont décourager », alerte le président du Conseil régional de l’Ordre.
« Les dix prochaines années vont être très compliquées. Il faut que nous nous mettions tous autour d’une table à l’échelle territoriale, pour réinventer un mode d’accès aux soins. Il faut faire confiance aux acteurs de terrain ».
Réinventer l’accès aux soins
Pour réinventer l’accès aux soins durant cette période transitoire, les initiatives se démultiplient. La Région Sud a débloqué un budget de 4 millions d’euros pour l’année 2024 visant à favoriser une meilleure santé de proximité : la création et extension de trois maisons de santé, l’aide d’installation de médecins généralistes dans quatre zones sous-dense (à Nice, Tende et Aspres-sur-Buech), la délivrance de 36 bourses de stages pour les internes de médecine générale, co-financées avec l’Europe et l’ARS et cinq projets d’équipements médicaux et numériques.
« Pendant cette période transitoire, il faut faire preuve d’assouplissement, être inventifs, et ne pas s’arc-bouter sur la volonté d’avoir un médecin de famille, disponible 24h/24 », prévient Hervé Caël. Parmi les solutions proposées, la téléconsultation à la condition « d’être proposée et décidée par les médecins à l’échelle territoriale », l’intégration d’infirmiers et infirmières à « des équipes coordonnées par un médecin », la « mise en valeur des médecins seniors qui veulent continuer à exercer grâce à un cumul emploi – retraite ». Et la « responsabilisation des patients », tout en garantissant une réponse 24h/24, notamment grâce à la régulation opérée par les équipes paramédicales et médicales du Service d’accès aux soins (SAS) à l’échelle départementale qui œuvre pour donner la meilleure solution dans le délai qui convient.
La collaboration entre professionnels comme solution
Certaines innovations font leur preuve sur le terrain. A l’image de Rofim, la plateforme de télémédecine pour faciliter la collaboration médicale, fluidifier le parcours patient et améliorer l’accès aux soins co-fondée par Emilie Mercadal et le chirurgien vasculaire David Bensoussan. L’objectif ? Favorise le BtoB et une collaboration entre professionnels, sans déplacer le patient. Une innovation qui a déjà séduit 1 500 établissements et 65 000 professionnels de santé pour 1,5 million d’actes réalisés en 2024. Rofim s’appuie notamment sur l’intelligence artificielle et les acteurs de télésurveillance. Et sur une concertation avec des industriels pour diminuer le délai de prise en charge du patient et favoriser l’interconnexion entre les médecins. A l’image de l’utilisation des lunettes connectées de la société rennaise AMA qui permettent, entre autres, un zoom pour un spécialiste renommé à des kilomètres du lieu de l’opération, et dont se sont déjà dotés les hôpitaux d’Aix-en-Provence et Laveran. Ou encore la start-up nantaise La Vitre qui crée une vitre de la taille d’un humain, permettant un échange instantané donnant la capacité aux professionnels de santé d’être présent à un endroit depuis un autre.
À partir de ce lundi, les médecins libéraux, étudiants en médecine et jeunes praticiens se mobilisent dans un mouvement de grève « illimitée » contre la loi transpartisane Garot, alors que l’examen du reste du texte doit reprendre la semaine du 5 mai à l’Assemblée nationale.