Cosmologie : le grand Big Bang…

Edito : Cosmologie : le grand Big Bang…

Jeudi, 17/04/2025 – 23:00

La cosmologie est sans doute sur le point de connaître une révolution majeure, peut-être la plus importante depuis la théorie de la relativité générale d’Einstein, en 1915. Il semblerait en effet, contre toute attente, que la mystérieuse énergie noire, découverte en 1998 par deux équipes indépendantes d’astrophysiciens, serait en train de connaître une diminution de sa puissance, ce qui se traduirait par un ralentissement de l’expansion de l’Univers. Depuis 1927, grâce aux travaux d’Edwin Hubble, nous savons que les galaxies s’éloignent de la nôtre de manière accélérée. Depuis le Big Bang, il y a 13,7 milliards d’années, l’Univers n’a cessé de gonfler, depuis sa taille microscopique des origines, jusqu’à son format gigantesque d’aujourd’hui, une sphère de 93 milliards d’années-lumière de diamètre, pour le seul univers observable.

L’énergie noire, dont nous ne connaissons toujours pas la nature, est une énergie répulsive très puissante, qui s’oppose à la gravitation et constitue les deux tiers de tout le contenu de l’Univers. Le19 mars, lors d’une conférence de la Société américaine de physique, en Californie, une collaboration internationale de 900 chercheurs, baptisée « DESI » (Instrument Spectroscopique pour l’Énergie Noire), et menée par le Laboratoire national Lawrence-Berkeley (Californie) a présenté les résultats de sa dernière étude. A l’aide du télescope Mayall (Arizona), ces scientifiques ont analysé la position de 15 millions de galaxies, dont certaines se situaient à 11 milliards d’années-lumière. Ces chercheurs ont pu ainsi réaliser une carte tridimensionnelle du cosmos et de son évolution. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les galaxies ne sont pas réparties au hasard dans l’Univers. Leur emplacement est lié aux concentrations de matière peu après le Big Bang. C’est cette empreinte primordiale qui détermine la répartition de ces galaxies, sous forme d’une distance spécifique, qui est considérée comme un mètre étalon par les cosmologistes. Le problème, c’est que ces mesures ne sont pas en parfait accord avec celles d’autres expériences, notamment les supernovæ, utilisées également par les chercheurs en tant qu’étalons spatio-temporels très fiables pour mesurer les vitesses et accélérations du Cosmos. Or, cette comparaison indique un écart avec la théorie, qui a très peu de chances, du point de vue statistique, d’être dû au hasard.

Cette découverte a été confortée par une nouvelle analyse des données du prédécesseur de DESI, SDSS, publiée début mars, et qui montre, elle aussi, une diminution de l’accélération de l’énergie noire. On se souvient qu’Einstein fut surpris de constater, en 1917, que ses équations de la relativité générale, appliquées à l’Univers, prévoyaient une expansion cosmique, ce qui le dérangeait profondément. C’est pourquoi il décida alors d’ajouter sa fameuse « constante cosmologique », pour sauver son modèle d’univers statique. Mais Georges Lemaître et Edwin Hubble démontrent définitivement, en 1927, que l’Univers était bien en expansion. Einstein se résolut alors à supprimer sa constante cosmologique. Mais celle-ci fit une réapparition remarquée en 1998, après la découverte de l’énergie noire et de l’expansion accélérée de l’univers. Les nouveaux résultats récents et inattendus de DESI semblent bien conforter sérieusement l’hypothèse d’une énergie noire qui n’est pas constante, mais variable dans le temps. « S’ils sont confirmés, nos résultats montrent que l’accélération était légèrement plus forte il y a 7 milliards d’années et qu’elle tend à diminuer depuis 2,5 milliards d’années. L’énergie noire ne se résume plus à une constante mais cache une dynamique dont nous devons saisir la nature », souligne Arnaud de Mattia, chercheur au CEA.

Pour vérifier ces résultats inattendus, DESI va réanalyser soigneusement toutes ces données et étendre leur collecte jusqu’à inclure 40 millions de galaxies. Le télescope spatial Euclid, qui, a dévoilé ces nouveaux résultats, évaluera lui aussi l’accélération de l’Univers. Euclid va produire chaque jour quelque 100 gigaoctets de données. Cette énorme quantité d’informations sera analysée grâce à des algorithmes d’intelligence artificielle permettant de différencier les différents types des galaxies. Fin 2026, les scientifiques devraient disposer d’une quantité très importante de nouvelles données cosmologiques, qui seront recoupées avec celles provenant d’autres instruments, comme le futur télescope spatial Nancy Grace Roman et l’observatoire Vera Rubin au Chili. Nous saurons alors avec certitude si ces fluctuations de l’énergie noire dans le temps sont bien réelles. Pour le cosmologiste David Elbaz, cette variation surprenante de l’énergie noire dans le temps pourrait résulter d’un “champ scalaire”, c’est-à-dire un champ d’énergie qui exerce une force qui n’est pas orientée, évolue au fil du temps et peut modifier les propriétés des particules élémentaires qui entrent en interaction avec lui. Un champ scalaire comme celui associé au boson de Higgs agit partout dans l’espace, sans privilégier une direction particulière. On sait depuis la découverte du boson de Higgs, en 2012, dont le champ explique la masse des particules, que d’autres champs scalaires existent et concernent notamment des propriétés géométriques fondamentales de l’espace, comme la constante cosmologique.

Quant à l’origine de l’énergie noire, elle continue à faire l’objet de nombreuses spéculations et hypothèses. Une équipe américaine, dirigée par Gregory Tarlé et Kevin Croker, a proposé en novembre dernier une théorie selon laquelle, lorsqu’une étoile s’effondre sous l’effet de sa propre gravité, pour devenir un trou noir, une partie de son énergie pourrait être transformée en énergie noire. Kevin Croker, astrophysicien à l’Université d’État de l’Arizona et auteur principal de la nouvelle étude, souligne que « Si les trous noirs contiennent de l’énergie noire, ils peuvent se coupler et croître avec l’expansion de l’univers, accélérant ainsi sa croissance. Et même si nous ne pouvons encore expliquer en détail comment cela se produit, nous observons des indices clairs de ce phénomène » (Voir University of Michigan).Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont également utilisé le spectroscope de l’énergie noire (DESI), conçu pour mesurer la position des galaxies avec une précision exceptionnelle, permettant de retracer la vitesse d’expansion de l’univers depuis son origine. De manière surprenante, cette étude montre qu’il existe une forte corrélation entre la densité de l’énergie noire et la croissance des trous noirs, Ces recherches tendent en effet à montrer qu’à mesure que de nouveaux trous noirs se constituent, à la suite de la mort d’étoiles massives, la quantité d’énergie noire dans l’univers augmente de manière cohérente. Si cette corrélation est confirmée, elle pourrait résoudre la « tension de Hubble », un problème de longue date pour les astronomes. Cette fameuse tension de Hubble désigne l’écart important entre les valeurs prédites par le modèle standard de la cosmologie et celles observées en réalité. Les observations indiquent une valeur de la constante de Hubble de 73 kilomètres par seconde par mégaparsec (km/s/Mpc), alors que les prédictions théoriques indiquent une valeur de 67 km/s/Mpc. Et en décembre dernier, une nouvelle étude de l’Université Johns Hopkins a confirmé, grâce à des nouvelles données provenant du télescope spatial James Webb (JWST), que cet écart important et inexplicable était bien réel et ne venait pas d’une erreur de mesure…

Il y a quelques jours, une autre étude internationale est également venue proposer une nouvelle théorie sur la nature et l’évolution des trous noirs. Jusqu’à présent, la théorie classique postule que la matière qui tombe dans un trou noir est inexorablement attirée vers la singularité, un point infiniment dense où l’espace et le temps semblent s’arrêter. Mais cette description théorique n’est pas satisfaisante pour beaucoup de physiciens car elle suppose qu’il existe dans l’Univers des régions où les lois de la physique ne sont plus valides. Pour essayer de surmonter ce problème, des chercheurs des Universités de Sheffield et de Madrid proposent de réintroduire la physique quantique pour mieux comprendre la véritable nature d’un trou noir. Alors que la relativité générale permet un effondrement total de l’espace-temps, la physique quantique interdit une telle possibilité (Voir University of Sheffield). Dans le monde quantique, les particules ne peuvent pas être complètement immobiles et sont constamment l’objet d’infimes fluctuations quantiques, même dans les situations les plus extrêmes. Dans ce nouveau cadre théorique, il ne peut plus y avoir de singularité de densité infinie mais des fluctuations quantiques qui empêchent l’espace-temps et la matière de s’effondrer totalement. Dans ce cadre quantique, la matière accumulée dans le trou noir serait expulsée progressivement sous une autre forme et donnerait naissance à un « trou blanc ». Ce trou blanc serait une espèce de fontaine cosmique qui rejetterait cette matière et cette énergie dans un autre endroit de l’Univers, connectant ainsi deux régions de l’espace-temps. Cette hypothèse fascinante, qui s’inscrit dans le cadre plus vaste de la théorie de la gravité quantique en boucles, proposée par Carlo Rovelli et Lee Smolin, a également des conséquences vertigineuses sur la nature du temps, qui ne serait pas simplement relatif à chaque observateur, mais défini par l’énergie noire elle-même. Cette énergie noire agirait comme une horloge cosmique qui commande l’évolution du temps à l’échelle de tout l’Univers.

Un autre mystère est peut-être en voie de dissipation, celui de la matière noire, cette matière invisible qui composerait plus de 80 % de l’Univers (exception faite de l’énergie noire). Des chercheurs de l’université d’Austin au Texas ont proposé en décembre dernier un nouveau modèle nommé WIFI (Inflation Chaude par Ultraviolet Gelé). Ce modèle explore un mécanisme par lequel la matière noire serait produite pendant la phase « d’inflation cosmique » initiale qui a suivi le Big Bang (Voir The University of Texas at Austin). Rappelons que cette phase d’inflation, admise par la communauté scientifique depuis 1979, postule que l’Univers aurait connu une fulgurante expansion, de l’ordre de 10 26 en un temps extrêmement bref, compris entre 10-36 et 10-33 secondes après le Big Bang. Selon cette hypothèse, la matière noire aurait été produite lors de cette phase d’inflation cosmique, à partir d’interactions entre le champ scalaire primordial, ou inflaton, et des particules. Le modèle WIFI postule que de la radiation, générée par le champ inflaton, aurait pu produire des particules de matière noire grâce à l’effet du rayonnement ultraviolet. L’intérêt de cette nouvelle hypothèse originale, c’est qu’elle est vérifiable. Au cours de la prochaine décennie, il devrait en effet être possible techniquement de détecter des signatures d’une inflation dite “chaude” – une preuve de la validité du modèle WIFI – sur le fond diffus cosmologique. Si la matière noire a été produite lors de l’inflation, alors son origine précéderait le moment où les premières particules du modèle standard se sont formées. Ce serait alors un grand bouleversement dans notre compréhension du cosmos.

Je voudrais évoquer enfin, dans ce tourbillon de découvertes cosmologiques, une nouvelle théorie audacieuse et très intéressante, visant à compléter la relativité générale pour y intégrer la dimension quantique de l’Univers. Formulée par Albert Einstein en 1915, cette célèbre et géniale théorie explique la gravité comme une courbure géométrique de l’espace-temps provoquée par les objets massifs. De l’autre côté, la mécanique quantique, développée entre 1900 et 1927, décrit très bien le comportement probabiliste et dual (à la fois corpusculaire et ondulatoire) des particules à des échelles minuscules, comme les atomes et les électrons. Le problème, c’est que ces deux théories, bien qu’ayant été abondamment vérifiées par l’expérience, restent largement incompatibles, dès lors qu’on tente de les combiner. C’est dans ce contexte qu’une récente étude a fait grand bruit au sein de la communauté scientifique. Ce travail, réalisé par la brillante mathématicienne Ginestra Bianconi, Professeure à l’Université Queen Mary de Londres, a été publié sous le titre « La gravité issue de l’entropie ». S’inspirant des travaux de Ted Jacobson, à la fin du siècle dernier, puis d’Eric Verlinde, il y a une quinzaine d’années, cette scientifique propose de ne plus considérer la gravité comme une force fondamentale, mais plutôt comme un phénomène émergent lié à l’entropie relative quantique, un concept issu de la théorie de l’information quantique (Voir APS).

En physique, l’entropie, concept qui vient de la thermodynamique, mesure le désordre ou l’incertitude d’un système. L’entropie relative compare quant à elle deux états d’un même système. Dans cette nouvelle approche, l’espace-temps n’est plus un simple tissu déformé par la matière, mais un système quantique dont la structure géométrique émerge de ces différences d’entropie. Un élément central de cette nouvelle théorie est l’introduction du « champ G », un champ auxiliaire qui joue un rôle-clé dans l’évolution de l’espace-temps. Dans les équations modifiées de la relativité générale proposées par Ginestra Bianconi, le champ G agit comme un multiplicateur lagrangien, un outil mathématique utilisé pour imposer des contraintes dans un système. L’introduction de ce champ G a plusieurs avantages : d’abord, il fournit une explication à la mystérieuse matière noire, cette substance invisible qui représente environ 27 % de l’Univers, mais qui n’interagit pas avec la lumière et ne peut être détectée directement. Ensuite, il prédit l’émergence d’une petite constante cosmologique positive, en accord avec les observations de l’expansion accélérée de l’Univers. Cette théorie permet enfin de considérer l’espace-temps comme un opérateur quantique qui agit sur les états quantiques et détermine leurs évolutions. Comme le souligne Ginestra Bianconi, « En introduisant le G-champ, nous obtenons des équations d’Einstein modifiées et des équations du mouvement pour la matière et le G-champ. Ces équations montrent comment la matière influence la géométrie de l’espace-temps. En outre, à basse énergie, les équations modifiées se comportent en accord avec la relativité générale, ce qui permet de considérer que la gravitation pourrait être une conséquence de l’entropie ».

Les travaux de Ginestra Bianconi ouvrent donc des perspectives inédites. En reliant la gravité à l’entropie quantique, cette approche pourrait permettre de construire une véritable théorie unifiée de la gravité quantique. De plus, si le champ G s’avère être lié à la matière noire, cette théorie pourrait aussi nous éclairer sur la nature intime de cette matière insaisissable. Reste à vérifier cette théorie séduisante par des expériences et des observations, ce qui est possible mais prendra des années. Le grand mérite de cette avancée théorique, c’est qu’elle remet en question nos conceptions de l’espace-temps et de la gravité et qu’elle oblige les physiciens à élargie leur cadre de raisonnement et de pensée. Le physicien néerlandais Eric Verlinde avait déjà proposé, en 2008, une nouvelle théorie audacieuse qui considère que la gravité ne serait pas une force fondamentale de la nature, mais devrait être considérée comme un phénomène émergent, résultant d’un processus thermodynamique, à l’instar de la chaleur qui résulte du mouvement de particules microscopiques. Verlinde souligne d’ailleurs que si l’on accepte de considérer la gravitation comme un effet secondaire dans l’Univers et non comme une force fondamentale, il n’est plus nécessaire de postuler l’existence de la matière noire pour expliquer le comportement des galaxies et des objets cosmiques.

D’ici quelques années, les progrès des outils d’observation et de mesure, ainsi que les avancées informatiques en matière de traitement des données par IA, permettront sans doute de vérifier ou d’infirmer non seulement la variabilité dans le temps de l’intensité de l’énergie noire, mais également certaines prédictions découlant des théories de la gravité entropique et de la gravité quantique en boucle. Il sera alors possible, comme l’espère la majorité des physiciens, de proposer une nouvelle théorie cosmologique cohérente, plus vaste et plus riche que le modèle standard actuel, incluant non seulement la relativité générale, mais aussi la mécanique quantique et la thermodynamique, avec ses concepts d’entropie et d’information. Ce nouveau cadre conceptuel parviendra-t-il à rendre compte de la complexité incroyablement subtile et polymorphe du réel, de l’infiniment petit à l’infiniment grand ? Rien n’est moins sûr, car il se peut que cette complexité, bien qu’accessible à l’esprit humain, soit inépuisable et échappe à tout jamais à une description théorique et mathématique complète…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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