
La Réunion, correspondance
Des graphiques, des courbes et un pic rouge foncé. Voici les données qui ont lancé l’alerte à La Réunion dès la mi-janvier. Ce sont des images satellite qui ont permis d’annoncer une hausse majeure de la température des océans. « Voir cette alerte si tôt dans l’année m’a inquiété », dit Bruce Cauvin, de la Réserve nationale marine de La Réunion. Sa crainte ? La santé des coraux de l’île. Du réchauffement de l’océan aux conséquences des cyclones comme Garance en passant par la pollution des eaux, ces coraux souffrent, entraînant dans leur disparition celle du riche écosystème qu’ils abritent.
Sous l’effet d’une température de l’eau au-dessus de 30 °C, ces animaux — le corail est un polype vivant en symbiose avec de microscopiques algues — expulsent les algues symbiotiques qui leur donnaient leur énergie et leur couleur. Ce phénomène provoque leur blanchissement.
« Les coraux blanchis sont des coraux affaiblis, qui ont perdu environ 80 % de leur énergie, précise le responsable du pôle animation, éducation et formation de la Réserve nationale marine. C’est le pire épisode de blanchissement des trente dernières années. Ce phénomène nous préoccupe, on l’observe partout. »
Le stress thermique, causé par une élévation anormale de la température de l’eau, provoque le blanchissement des coraux.
© Martin Huré / Reporterre
La température de l’eau n’est pas le seul aspect à blâmer. Lors d’une campagne d’échantillonnage, les scientifiques ont constaté un phénomène dramatique : de nombreux coraux morts, sans que le blanchissement y soit pour quelque chose. Recouverts d’algues et de boue, ils sont victimes du cyclone Garance, qui a frappé l’île en février dernier.
« Trois zones sont touchées : Trois-Bassins ; le sud de la passe de l’Hermitage et, à Saint-Leu, l’embouchure de la ravine de Grand Étang. Mais ce n’est pas comme ça partout. D’autres prospections sont en cours pour quantifier l’effet de Garance », explique Jean-Benoît Nicet, biologiste marin ayant étudié les dommages sur les coraux.

À La Réunion, les menaces s’accumulent pour le récif corallien.
© Louise Allain / Reporterre
Les effets du cyclone, notamment le ruissellement de la boue, des sédiments, de polluants et d’eau douce dans le lagon menacent immédiatement les coraux. Privés de lumière, étouffés, ils meurent. La qualité de l’eau sur certaines plages, comme à Saint-Leu, entraîne encore l’interdiction de la baignade depuis le cyclone. « La vase s’est déposée, la boue recouvre des coraux déjà fragilisés par l’excessive température de l’eau. C’est un peu le scénario catastrophe », dit Bruce Cauvin, de la Réserve marine.
Et d’ajouter : « Même s’il y a une coïncidence de plusieurs facteurs, les coulées de boue sont une cause de dégradation énorme. Dans certaines zones, il faudra attendre des années pour espérer un retour à la normale. » Lors du cyclone Firinga à Saint-Leu, en 1989, la mortalité avait atteint 99 % du récif et il avait fallu attendre dix ans pour que les coraux reviennent. « En plus, le bouillon de culture généré par Garance et la prolifération d’algues peuvent augmenter la mortalité des poissons », dit Bruce Cauvin.

Le cyclone Garance a entraîné un afflux massif d’eau douce, chargée en sédiments et en polluants. Les récifs situés au pied des ravines ont été particulièrement touchés, comme ici à Saint-Leu.
© Martin Huré / Reporterre
« Le pouls de la planète »
Les récifs coralliens abritant une biodiversité considérable, leur dégradation a des conséquences en chaîne. Dans les prochains mois, la vie des espèces marines, dont 30 % vivent dans le récif, risque d’être bouleversée, explique Pascale Chabanet, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), spécialisée sur le récif corallien et les poissons associés.
D’abord, parce que le paysage sous-marin corallien évolue avec la mortalité des coraux branchus. « Cette saison est une période d’arrivée de post-larves [l’animal avant le stade juvénile] dans le récif. Comme les algues et les coraux sont recouverts de boue, elles peineront à s’abriter et subiront une mortalité par prédation plus importante », explique la chercheuse.
L’eau douce apportée dans le lagon par les pluies de Garance est une autre source de mortalité. « Les eaux peuvent charrier des bactéries pathogènes, comme des streptocoques, et entraîner une mortalité de certains poissons comme les murènes », dit Pascale Chabanet.

Des observations visuelles permettent à Jean-Benoît Nicet de mesurer le taux de mortalité des coraux.
© Martin Huré / Reporterre
La pollution exceptionnelle de l’océan au moment des cyclones rappelle que « l’écoulement des eaux de surface constitue un enjeu majeur à La Réunion », selon la scientifique. Les récifs y subissent de plus en plus la pollution due à la gestion du bassin versant, dont les eaux se déversent dans l’océan. « L’arrivée de pollution, de sédiments, de terre dégrade la santé des récifs coralliens tout en augmentant le risque d’inondations, qui affectent directement les populations locales », ajoute-t-elle.
La scientifique appelle à une réflexion collective à l’échelle du bassin versant. Comme La Réunion ambitionne d’attirer 750 000 touristes par an d’ici 2030 — contre environ 550 000 aujourd’hui —, il est urgent de s’interroger sur la stratégie à adopter.

La pollution menace aussi les coraux.
© Martin Huré / Reporterre
Blanchissement, pollutions… du fait du cumul de ces attaques, plusieurs experts doutent de la capacité du récif à s’en remettre. « L’augmentation de la fréquence des phénomènes de blanchissement laisse trop peu de temps aux coraux pour se régénérer entre deux épisodes », dit Pascale Chabanet. « On a parfois l’impression d’être des Don Quichotte, on se contente de traiter l’aspect maritime, confie Bruce Cauvin. Pourtant, suivre l’état de santé des coraux, c’est prendre le pouls de la planète : ils sont les premiers à réagir aux effets du changement climatique. »
Une bonne nouvelle dans cet océan d’inquiétude : les associations écologistes et habitants du sud de l’île ont obtenu, le 18 mars, la suspension des travaux d’extension d’un bassin dans le récif de Grande Anse, qui aurait détruit 114 m2 de coraux. Une victoire qui ne signe pas encore la fin la bataille.