Ces associations « de danseurs aux pieds nus » et de « mangeurs de graines » qui dérangent le président du Rhône

« On ne peut prendre l’argent du Département et aller contre les projets du Département. » Le président LR du département du Rhône, Christophe Guilloteau, a, sous ce prétexte, décidé de couper les subventions allouées à trois associations environnementales. Dans sa ligne de mire, France nature environnement (FNE Rhône), la Ligue de protection des oiseaux (LPO AuRA ) et Arthropologia, une association naturaliste de protection des insectes. Le 4 avril, en Conseil départemental du Rhône, Christophe Guilloteau a donc fait voter un amendement supprimant les 80 000 euros de subventions qui aident ces associations à mener leurs activités de protection de la nature.

Le président du conseil départemental reproche à ces trois associations d’avoir co-signé un courrier critiquant le projet de port fluvial du Bordelan, à Anse, situé en bord de Saône, au nord de Lyon. Dans ce courrier, que basta! a consulté, les signataires soulignent que ce projet qui bénéficie d’un « investissement public conséquent » – 39,5 millions d’euros – « va impacter lourdement une zone humide (artificialisation d’une surface équivalente à 30 terrains de football), alors même que les zones humides, essentielles pour la biodiversité, sont aujourd’hui les milieux les plus menacés ».

« Le courrier, loin d’être virulent, posait des questions légitimes sur l’utilité économique du projet au regard des autres sites et projets déjà existants à proximité, ses conséquences environnementales, et l’absence de concertation réelle, soulignent les trois associations dans un communiqué commun. En réponse, la suppression des subventions s’apparente à une sanction politique destinée à faire taire toute voix dissidente. »

« J’en ai assez de ces associations »

Lors de la séance du 4 avril, le président du Département est revenu sur ce courrier. « On nous donne des leçons (…) et on nous explique comment faire du développement inclusif. Je ne sais même pas ce que c’est, souligne t-il lors de son allocution, dans une vidéo en ligne (à partir de 2h57). On nous dit que le projet à Anse va supprimer 30 terrains de football, que les bateaux à moteur sont un gros péché. On nous dit dans cette lettre de réduire les dépenses. On va réduire les dépenses, ça va être vite fait ! (…) Je propose un amendement qui consiste à supprimer les subventions à ces dites associations. (…) C’est 80 000 euros qu’on va leur donner pour qu’après elles soient contre nous, ça je ne l’accepte plus. »

La vidéo ci-dessous, réalisée par FNE Rhône, est un florilège des propos aberrants de Christophe Guilloteau lors de cette séance en conseil départemental. « Moi j’en ai assez de ces associations de danseurs aux pieds nus qui viennent nous expliquer ce que nous, élus, on doit faire, sur nos territoires. (…) J’ai un défaut, c’est que je vieillis et je ne supporte plus ça. (…) Moi je ne suis pas prêt à ce que mes enfants mangent des graines tous les jours, à faire de la bicyclette tous les jours », a t-il fait valoir. Seul un élu, sans étiquette, s’est abstenu lors de la proposition de cet amendement (la gauche, totalement divisée lors des élections, ne compte pas d’élus au Conseil départemental).

« Cette attaque résonne pour nos associations comme un déni de démocratie à l’heure où il est urgent d’agir pour préserver notre environnement », souligne le communiqué commun des trois associations visées.

« Bâillonner » les défenseur « de nos biens communs »

Frédérique Resche-Rigon, présidente de FNE Rhône, déplore une « décision qui n’a qu’un seul objectif : bâillonner les associations qui jouent leur rôle de contre-pouvoir dans notre démocratie. Nous ne demandons rien d’autre que le respect de nos missions : alerter sur les projets néfastes pour l’environnement et défendre l’intérêt général ». FNE Rhône vient de lancer une cagnotte alors que cette coupe subite de subventions met en péril la pérennité de la structure, localement.

Pour ces associations, ces coupes « compromettent gravement des actions concrètes en faveur de la connaissance et de la protection d’espaces naturels sensibles dont le Département lui-même a besoin ». « En voulant nous sanctionner pour avoir joué notre rôle de défenseur de nos biens communs, c’est en réalité la biodiversité et toustes les citoyennes que le Conseil Départemental punit » souligne Sébastien Teyssier, directeur de la LPO AuRA.

De son côté, le Département du Rhône assume sa décision, la noyant dans une novlangue toute bureaucratique : « Cette décision s’inscrit dans le cadre d’une réflexion plus globale autour des Espaces naturels sensibles (ENS) permettant de re-centraliser cette politique à l’échelon départemental. La collectivité aurait ainsi la garantie que les actions entreprises dans le cadre de cette politique ENS s’inscrivent en faveur du territoire rhodanien et pas dans un but militant » a indiqué la collectivité dans un courriel à France 3 Rhône-Alpes.

Supprimer des financements pour sanctionner des critiques est une politique déjà initiée par l’ancien président de la région Auvergne Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez. Ce dernier avait supprimé en 2023 la subvention au Théâtre Nouvelle Génération de Lyon suite à des propos de son directeur sur la politique culturelle régionale.



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