
Deux mois après avoir fait adopter un budget 2025 qui rognait déjà sur les dépenses publiques, le ministre de l’Économie, Eric Lombard, a annoncé, en fin de semaine dernière, de nouvelles coupes budgétaires de l’ordre de 40 milliards d’euros. Le 15 avril, François Bayrou a confirmé cette annonce permettant, selon lui, de maintenir l’objectif de déficit à 4,6 % du PIB en 2026.
Pour Christophe Ramaux, enseignant à l’université Paris 1, chercheur au Centre d’économie de la Sorbonne, la dépense publique n’est pas un indicateur économique pertinent. Entretien avec cet enseignant à l’université Paris 1, chercheur au centre économique de la Sorbonne et membre des Économistes atterrés, qui préconise plutôt d’aller chercher des recettes pour combler le déficit.
Basta! : Le ministre de l’Économie, Eric Lombard, ne cesse de rabâcher un chiffre : 57% de notre produit intérieur brut (PIB) serait consacré à la dépense publique. En répétant ce montant, qu’il juge colossal, il sous-entend que l’État est déjà très généreux. Couper dans la dépense publique serait donc sans grandes conséquences sociales. Mais la France est-elle réellement ce pays qui dépense de l’argent public à tout va ?
Christophe Ramaux : On a une image totalement déformée de la dépense publique. Quand on dit que la dépense publique c’est 57% du PIB, la plupart des gens imagine que l’on prélève plus de la moitié de la richesse créée par le privé, qui serait le seul secteur productif, pour payer les fonctionnaires. Tout est faux dans cette phrase.
La dépense publique est un indicateur très imparfait. On mélange un peu tout dedans et on fait des doubles comptes. Par exemple, elle comprend les salaires versés aux fonctionnaires, dont les cotisations sociales… Mais ces mêmes cotisations sont à nouveau comptées dans les dépenses de retraite ! Le chiffre de 57% du PIB n’est pas faux, mais il ne correspond pas à une part du PIB. Ce n’est pas parce que la dépense publique est à 57% que la dépense privée est à 43%. Au contraire, si on calculait la dépense privée de la même manière que l’on calcule la dépense publique, elle serait de l’ordre de 200% du PIB.
Même si le gouvernement refuse d’employer le mot. Sommes-nous face à une politique austéritaire ?
La part des services publics dans le PIB n’a pas augmenté depuis 40 ans. Donc il y a bien eu de l’austérité. Pourquoi je dis ça ? Parce que, normalement, plus une société est riche, plus elle consacre de l’argent pour ce qu’on appelle les « biens supérieurs » : l’éducation, la santé, la culture. Il ne vous a pas échappé que ce sont les terres d’excellence des services publics.
Or, il y a beaucoup plus de bacheliers aujourd’hui que dans les années 1980, on aurait donc dû consacrer plus d’argent à l’éducation. On ne l’a pas fait. De même, la population vieillit donc on aurait dû augmenter les dépenses de santé. Cela n’a pas été le cas. Donc il y a bien eu de l’austérité.
A quoi servent précisément les 1670 milliards d’euros de dépense publique ?
Contrairement aux idées reçues, sur les 1670 milliards, un quart seulement sert à payer les fonctionnaires. Environ une moitié (710 milliards) est consacrée aux « prestations sociales » et aux « transferts sociaux en nature de produits marchands » – la part remboursée des médicaments et des consultations médicales.
Les prestations sociales (530 milliards, en 2023) financent essentiellement les retraites (380 milliards), mais aussi le chômage, le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation adulte handicapé (AAH), les allocations familiales… Les transferts sociaux en nature de produits marchands comptent pour 180 milliards. Quant au quart restant, il constitué de divers postes : aide aux ménages et aux entreprises, intérêts de la dette (50 milliards), etc.
La dépense publique n’est pas un puits sans fond. Et il faut savoir que le secteur public est productif ! Le calcul du PIB le prend d’ailleurs en compte. Sur les 3000 milliards de PIB actuel, environ 20% est ajouté par les fonctionnaires, soit 470 milliards. L’argent n’est donc pas dilapidé, puisqu’un quart de la dépense publique (salaire des fonctionnaires) augmente le PIB !
De même, les trois autres quarts offrent des débouchés pour le privé. Les retraités, que font-ils de leur retraite ? Ils font les courses, ils consomment. De même pour les chômeurs. La commande publique ? Elle finance en grande partie le privé, notamment le secteur du BTP si on pense à la construction d’écoles, de routes… Ce ne sont pas les fonctionnaires qui manient la truelle ! Donc quand on réduit la dépense publique, cela a inévitablement un effet sur le privé.
Si on préserve la dépense publique, comment réduire le déficit ?
Le déficit public est avant tout un problème de recettes. Depuis 2017, premier mandat d’Emmanuel Macron, la dépense publique en pourcentage du PIB n’a pas augmenté. Ce qui a baissé, ce sont les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales). On n’a jamais eu de baisse aussi élevée des ces prélèvements en un temps aussi court. On pense bien sûr à la suppression de l’impôt sur la fortune, ISF, du prélèvement forfaitaire unique, à la baisse de l’impôt sur les sociétés ou encore à la suppression de la taxe d’habitation (20 milliards d’euros), essentiellement payée par les ménages les plus riches. En tout, on arrive sur une baisse de 60 à 70 milliards de recettes.
Au lieu de réduire la dépense publique, on pourrait évidemment aller chercher de nouvelles recettes. Déjà en revenant sur cette contre-révolution fiscale mise en place par Emmanuel Macron. On pourrait aussi remettre en cause certaines niches fiscales et sociales. Une part du déficit de la sécu pourrait être comblée si on cessait de ne pas soumettre à cotisation sociale une partie des revenus comme les heures supplémentaires, l’intéressement la participation, la prime de partage de la valeur (ex « prime Macron »)…