
Un métier pas comme les autres. Aux Philippines, seul pays majoritairement catholique en Asie, le Vendredi saint fait l’objet d’une tradition extrême et controversée. Chaque année, des dizaines de pénitents se flagellent jusqu’au sang sous un soleil de plomb, tandis que d’autres se font volontairement clouer sur des croix. Des milliers de spectateurs viennent quant à eux assister à ce spectacle macabre, officiellement désapprouvé par l’Église.
Cette année, la foule la plus importante s’est rassemblée dans la province de Pampanga, à deux heures au nord de Manille, là où Ruben Enaje, 64 ans, se fait crucifier pour la 36e fois. Ce sera également la dernière, confie-t-il aux journalistes quelques minutes après qu’on lui a soigneusement retiré les clous qui lui transperçaient les paumes. « Je ne peux vraiment plus le faire, ils ont dû me braquer des ventilateurs dessus juste pour que je puisse respirer normalement », raconte-t-il. Ce jour-là, les températures ont atteint 39 degrés.
Un successeur « un peu nerveux » à l’idée de reprendre les crucifixions
Quelques moments avant d’être monté sur la croix, Ruben Enaje a causé une frayeur à l’assistance en trébuchant au bas d’un talus, « poussé un peu plus fort que d’habitude » par un homme jouant le rôle d’un soldat romain le conduisant au supplice. Ce n’est pas la première fois que le sexagénaire évoque l’idée de prendre sa retraite, mais il se pourrait qu’il ait cette fois vécu son dernier martyre : les responsables locaux ont enfin désigné son successeur en la personne d’Arnold Maniago, lui-même un vétéran du Vendredi saint avec 24 crucifixions à son actif, qui admet tout de même se sentir « un peu nerveux » à l’idée de reprendre le flambeau.
Pendant ce temps, des processions de jeunes hommes au visage dissimulé par des foulards, âgés de 20 à 30 ans pour la plupart, défilent en direction de la croix en se flagellant le dos et les épaules en cadence. Mais les fouets, couverts de pointes faites d’éclats de bambou, suffisent rarement à faire couler le sang dans les quantités désirées. Dans l’assistance, un homme âgé montre un outil en bois incrusté de verre tranchant, utilisé pour scarifier le dos des pénitents et produire de meilleures éclaboussures. En queue de cortège, de nombreux enfants suivent les processions ; âgé de huit ans à peine, l’un d’entre eux fouette le dos d’un homme torse nu étendu au milieu du chemin.
Installés sous une tente à l’abri de la chaleur, une cinquantaine de touristes assistent aux processions. Chacun a payé un « pass » spécial pour s’assurer une place de choix aux premières loges. David, 45 ans, venu de New York avec son compagnon passer les vacances aux Philippines, a même changé ses plans pour pouvoir assister aux crucifixions, ravi de « voir quelque chose d’aussi vibrant et authentique ». « Le sentiment religieux est en train de disparaître en Occident, alors qu’ici, c’est sincère, viscéral », estime le touriste.