
C’est un congrès sans grand suspense. Les 17 000 adhérents des Écologistes sont invités à voter du jeudi 16 au vendredi 18 avril — et éventuellement du 24 au 26 avril au second tour — pour le ou la secrétaire nationale de leur parti. À moins d’une énorme surprise, Marine Tondelier, qui occupe le poste depuis décembre 2022, a toutes les chances d’être réélue. Omniprésente dans les médias depuis son rôle dans les négociations du Nouveau Front populaire à l’été 2024, la cheffe des Verts revendique déjà 2 500 soutiens d’adhérents.
Trois challengers ont toutefois décidé de se confronter à la favorite : Karima Delli, ancienne eurodéputée de 2009 à 2024 ; Florentin Letissier, adjoint à la maire de Paris en charge de l’économie sociale et solidaire ; et Harmonie Lecerf Meunier, adjointe au maire de Bordeaux chargée de l’accès aux droits et des solidarités. Si la victoire de l’un d’entre eux paraît peu probable, leurs candidatures témoignent des différences de visions et de stratégies qui traversent le parti depuis plusieurs mois. Avec un seul et même objectif : replacer l’écologie dans le débat public.
« Il ne suffit pas d’être populaire, sinon c’est Jean-Jacques Goldman qui serait président de la République »
« J’aime bien Marine Tondelier, mais force est de constater que l’écologie a disparu du paysage politique », a critiqué Karima Delli dans un entretien à Mediapart. « Elle a une notoriété, une surface médiatique. On la voit beaucoup, mais ce n’est pas pour ça que le parti écologiste accroît son nombre d’électeurs », abonde Florentin Letissier.
Harmonie Lecerf Meunier enfonce le clou : « Il ne suffit pas d’être populaire, sinon c’est Jean-Jacques Goldman qui serait président de la République, parce qu’il est la personnalité préférée des Français depuis des années, dit-elle. Ce n’est pas ça la politique. C’est l’incarnation d’un programme, d’un projet, c’est donner à voir ce que l’on pourrait porter pour toutes et tous. Et force est de constater que nous n’avons pas trouvé la formule chez Les Écologistes. »
Clarifier le récit du parti
Les trois opposants de Marine Tondelier estiment que si l’écologie n’est plus présente dans le débat public, c’est car le récit du parti manque de clarté. « Il y a un problème dans nos mots, a déclaré Karima Delli dans une interview au Point. On dit qu’on va faire la “transition écologique”, mais, concrètement, ça veut dire quoi ? Il faut rentrer dans la vie des gens : comment mieux isoler leur logement ? Comment on fait pour qu’ils se déplacent mieux ? »
Si elle était élue secrétaire nationale, elle voudrait notamment instaurer la « parité sociale », pour faire accéder à des postes éligibles des personnes issues des milieux populaires. « Il y a urgence à reconquérir les classes populaires et à les sortir de l’abstention et des mains de l’extrême droite », a-t-elle déclaré à Mediapart.
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De son côté, Harmonie Lecerf Meunier — qui partage la volonté de davantage inclure les milieux populaires — plaide également pour plus d’intelligibilité dans le parti. Elle cite par exemple une interview à L’Humanité de Marine Tondelier qui, interrogée sur la nécessité de la fin du capitalisme, avait répondu de façon agacée et évasive : « Si vous voulez, mais il faudra m’expliquer ce qu’on met à la place ».
« C’est tout l’objet de l’écologie politique : porter un projet de rupture et d’émancipation du capitalisme »
« Nous, avec le collectif Radicalement vôtre [porté également par la députée Sandrine Rousseau], on dit clairement que oui, il faut s’émanciper du capitalisme, affirme Harmonie Lecerf Meunier. C’est tout l’objet de l’écologie politique : porter un projet de rupture et d’émancipation du capitalisme. Si j’étais secrétaire nationale, je demanderais à notre parti de se mettre au travail sur cette question. Pour convaincre les gens, il faut avoir un programme clair, il faut savoir l’expliquer. »
L’adjointe au maire de Bordeaux estime aussi que le discours officiel du parti est actuellement « trop timoré » et qu’il devrait assumer davantage de radicalité pour « assumer nos constats et nos directions politiques », comme la réduction de la consommation de viande.
« Changer notre image »
À l’inverse, Florentin Letissier ne croit pas en cette façon de faire de la politique. « Évidemment que je pense que l’écologie est anticapitaliste, on ne peut pas faire de l’écologie dans un système basé uniquement sur la recherche de profits. Mais est-ce qu’en sautant sur la table, en répétant “anticapitalisme”, on va convaincre les gens ? interroge-t-il. Pour moi, la réponse est non. » L’adjoint d’Anne Hidalgo plaide plutôt pour « être pragmatique dans la façon dont on s’adresse aux gens » et pour « mettre en avant des solutions concrètes ».
« Il faut qu’on réussisse à changer notre image pour que, dans les zones rurales, les gens ne se disent plus “les écolos nous donnent des leçons alors que je suis obligé de prendre ma voiture pour me déplacer”, mais plutôt “si les écologistes étaient au pouvoir, il y aurait un fort bonus sur les véhicules électriques et je pourrais me payer une voiture neuve pour continuer à me déplacer” », expose-t-il.
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Florentin Letissier veut assumer une « écologie de gouvernement », qui peut « être jugée crédible sur des sujets régaliens comme la sécurité [il défend le retour d’une police de proximité] ou la défense [il est pour une augmentation des dépenses militaires européennes] ».
Dans une lettre envoyée aux militantes et militants du parti, Marine Tondelier a justement souligné sa volonté, si elle était réélue, de faire travailler le parti « sur l’ensemble des sujets, y compris les questions régaliennes ». Mais contrairement à ses rivaux, la cheffe des Verts reste finalement floue sur ses idées, comme si elle voulait synthétiser les différentes lignes.
Elle écrit ainsi son souhait de « clarifier la ligne politique et éviter les ambiguïtés », « éviter les débats internes stériles », « fluidifier, renforcer le fonctionnement du parti », « développer un réseau de formation interne, national et local », et « réconcilier radicalité et crédibilité », sans donner davantage de détails.
Discorde sur l’union de la gauche
Au-delà de la ligne politique du parti, les quatre candidats au poste de secrétaire national n’ont pas non plus la même position sur le rassemblement de la gauche pour les prochaines élections présidentielle et législatives. Marine Tondelier plaide pour « construire une union gagnante pour 2027 », tout comme Karima Delli et Harmonie Lecerf Meunier, qui imaginent une alliance allant « de La France insoumise [LFI] à Raphaël Glucksmann [Place publique] ».
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Florentin Letissier se démarque par son rejet de Jean-Luc Mélenchon. « Avec lui, on ne fera jamais plus de 50 % au second tour », pense-t-il, estimant que le fondateur de LFI, trois fois candidat à l’élection présidentielle, est un repoussoir pour beaucoup d’électrices et d’électeurs.
Malgré ces différences, tous les candidats insistent sur leur attachement au parti et à leur respect du futur résultat. « Ça s’appelle la démocratie interne, dit Harmonie Lecerf Meunier. Il y a du débat, des gens qui présentent des choses différentes, qui parfois s’engueulent, mais c’est la vie dans un parti. » « On n’est pas d’accord sur tout, mais on porte le même idéal, approuve Florentin Letissier. On a besoin des écologistes dans ce pays et, à la fin de ce congrès, on sera toutes et tous en ordre de marche. »
Des « engueulades » démocratiques que Marine Tondelier n’a toutefois pas apprécié. Déplorant les « attaques personnelles » contre elle relayées dans des articles de presse, elle rappelle qu’« un parti qui tourne en rond sur ses propres débats internes, qui se complaît dans ses divisions, se condamne à l’impuissance ». Ces divisions ne devraient pourtant pas disparaître du jour au lendemain, quel que soit le résultat du vote.
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