Amendes injustifiées et majorées : des structures essaient d’accompagner les jeunes endettés

Il est 18h30 quand Cissé ouvre la permanence juridique dans le centre d’animation Eugène Oudiné du 13e arrondissement. L’animatrice discute avec quatre jeunes venus avec le même objectif : trouver une solution pour rembourser leur dette due à un cumul d’amendes et à leur majoration. « T’as combien d’amendes toi ? 1.000 euros ? Ah ça va c’est rien ! », lâche Chamas en riant. Même si le jeune homme de 27 ans essaie de rembourser ses contraventions, il se retrouve avec un total de plus de 9.000 euros de dettes à cause des majorations. Amende durant le confinement, stationnement gênant, nuisances sonores… :

« Au début je me disais : “Je paie”, mais après je me suis démotivé, et je laissais de côté. »

Pourquoi cette consternation ? Depuis des années, certains agents de la police nationale en région parisienne ou à Marseille (13) utilisent les amendes comme bras armé d’une politique d’éviction de l’espace public d’une certaine catégorie de la population. Des personnes qu’ils estiment « indésirables », selon un rapport publié par la Défenseure des droits début avril et une enquête de Mediapart. Les amendes forfaitaires ont les mêmes motifs et arrivent en lot, souvent majorées. Une situation bien connue de StreetPress, qui l’avait massivement constatée à Argenteuil (95). « On a identifié les amendes comme étant une sorte de représailles », résume Nathalie Tehio, présidente de la LDH, qui a travaillé sur le sujet.

Des associations, structures jeunesses, juristes, éducateurs tentent d’accompagner les jeunes concernés dans les démarches pour supprimer les majorations, obtenir un échéancier dans les remboursements ou contester les faits reprochés. « C’est assez terrible, ça semble s’être généralisé, on a l’impression d’une grande impuissance », constate la présidente de la LDH face à la situation.

Situation commune à tous

Ismael a reçu ses premières amendes à 19 ans. Aujourd’hui, il en a dix de plus et continue d’en payer régulièrement. « C’est à la gueule. Si les policiers veulent mettre des amendes, ils mettent des amendes, c’est eux qui décident », lâche-t-il, dégoûté. Les interrogés par StreetPress et la Défenseure des droits constatent toujours les mêmes faits reprochés : tapage nocturne pour des faits parfois dans l’après-midi, dépôts de déchets pour plusieurs personnes à la même heure – à croire qu’ils sortent leurs poubelles tous ensemble –, des crachats par terre ou des infractions routières. Ismael, travailleur chez Monoprix, explique avoir reçu des amendes « à des endroits où je ne suis pas allé ». À Argenteuil, par exemple, les noms des verbalisés étaient orthographiés différemment pour des amendes au même moment, preuves selon eux qu’ils n’avaient pas été contrôlés sur le moment et qu’un agent s’était grossièrement souvenu de leur identité. Pour Ismael, d’autres prunes tombent après des contrôles d’identité qui se sont pourtant « bien » passés :

« Les flics te disent bonne soirée, et tu te rends compte qu’ils t’ont mis une amende quand tu la reçois… »

« Partout on nous raconte les mêmes histoires », résume Alexiane, coordinatrice vie associative à Droit d’urgence. L’association agit en faveur de l’accès au droit des personnes en situation d’exclusion sociale et de vulnérabilité. « Parfois, tu vas à ta boîte aux lettres, tu ouvres et tu en as cinq, six, sept… Tu reçois tout en bloc », raconte Chamas, désabusé. Pour Nathalie Tehio, en recevoir plusieurs en même temps serait régulier : « Ça se fait de façon récurrente d’en recevoir trois pour le même jour. » S’ajoutent à ces multi-verbalisations, la majoration des amendes. Les montants sont souvent doublés voire triplés à cause des délais de réception de courrier ou de l’impossibilité de rembourser immédiatement.

Ce phénomène ne serait pas nouveau, mais se serait accentué ces dernières années, notamment à partir des confinements pendant le Covid-19. Le directeur du centre Paris Anim Eugène Oudiné, Daniel Mendy, explique que dans certains quartiers, les logements étaient trop petits, certains jeunes restaient alors dehors et ont cumulé les contraventions :

« À la fin du Covid, on a rouvert le centre et les jeunes nous ont expliqué ce qui était arrivé. Puis comme la police les connaissait, il y a eu des amendes au faciès. »

À VOIR : « Les Blancs, on ne les contrôle pas. On va chercher les Noirs, les Arabes, les Pakistanais »

Mettre en place des solutions

De son côté, Cissé découvre le sujet il y a un an et demi, lors d’une conversation avec un jeune du centre où elle travaille. À partir de ce jour, l’animatrice se forme sur le tas et remue ciel et terre pour trouver des solutions. Elle passe ses journées à rencontrer les jeunes, leur donner des techniques pour contester, les inciter à lui ramener les amendes plutôt que de les jeter, et monter des dossiers un par un… En tout, elle gère plus d’une trentaine de situations :

« Pour gérer ces dossiers, il faut donner de soi. Parfois, quand je ne travaille pas, je vais avec eux, leur demander des documents… C’est un travail tellement fastidieux. »

Les personnes qui accompagnent les jeunes sont unanimes, la première étape pour agir, c’est de connaître l‘étendue de la dette. « Déjà il y a un gros travail en amont de récolte d’informations. Il faut comprendre la situation. Une fois qu’on a l’état des lieux de ces amendes, on pointe l’irrégularité », explique Daniel Mendy, directeur. « On est souvent informé quand c’est déjà une montagne. Quand on nous sollicite c’est que c’est déjà trop pour eux », explique Shiao-lane, éducatrice dans la structure Arc-ea à Porte de Clignancourt. Il n’est pas rare de voir des montants allant jusqu’à des dizaines de milliers d’euros. Les éducatrices des centres se sont très vite tournées vers des associations spécialistes en droit pour les former et les accompagner. « Il faut bien revenir sur le fait que c’est injustifié, on le sait qu’ils abusent, mais il faut traiter le problème », poursuit Ines, également éducatrice à Arc-ea.

Les structures se tiennent disponibles pour répondre aux demandes des acteurs associatifs et proposent aussi des permanences juridiques dans des centres ou associations de plusieurs arrondissements parisiens. « On privilégie l’approche des professionnels comme les éducateurs avant d’intervenir, parce que nous n’avons pas le lien de confiance qu’ils ont », fait savoir Alexiane de Droit d’urgence. La LDH de son côté propose aussi des permanences dans le 93 et met à disposition un guide pour contester les amendes du Covid.

Sentiment d’impuissance

Les membres d’associations qui aident les jeunes essaient aussi de leur faire récolter des preuves pour contester les infractions. Ils tentent d’avoir des témoignages afin de prouver qu’ils n’étaient pas devant tel lieu quand ils ont été verbalisés. Mais les jeunes craignent aussi de nouvelles représailles s’ils parlent. Par ailleurs, certains ne se souviennent plus forcément avoir agi d’une certaine manière lorsqu’ils reçoivent l’amende par courrier, détaille Nathalie Tehio :

« Si je vous dis que vous avez traversé en dehors des clous il y a un mois et que vous recevez une amende pour ça, c’est difficile de prouver que c’est faux. »

La présidente de la LDH estime que, pour éviter ces dérives policières, les amendes devraient reposer essentiellement sur des éléments tangibles, comme la photo d’un radar lors d’un excès de vitesse. Les amendes forfaitaires qui n’auraient pas ce genre de preuves ou les amendes délictuelles devraient être supprimées.

« On a l’impression qu’il n’y a pas d’issue dans les démarches pour dénoncer, on se sent impuissant », témoigne Ismaël. « Ils ont l’impression que c’est un cycle qui ne va jamais s’arrêter », regrette Alexiane, de Droit d’urgence. Zac, lui, a même arrêté de travailler à force de voir son salaire fortement ponctionné par ces prunes. « Ça me démotive. C’est des harceleurs. Ils sont sur tes côtes et y’a pas de solution pour ça… » Le jeune homme de 26 ans à eu ses premières amendes vers 18 ans et cumule plus de 6.000 euros de dettes :

« Je n’en ai jamais payé parce que je ne peux pas payer. »

Pour plusieurs jeunes, rembourser cette dette est une priorité pour éviter les conséquences sur leur famille et leurs projets d’avenir. « Ça va te ralentir sur des trucs plus tard, quand tu auras une femme, des enfants, tu n’as pas envie que ça les impacte », résume Chamas.

Image d’illustration en Une, prise par StreetPress lors d’un reportage à Lucé (28), en février 2022.



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