Abbé Pierre, Shoah… Les archives explosives du pontificat de Pie XII


Que savait précisément le Vatican sur l’abbé Pierre ? C’est la question depuis qu’un livre-enquête, s’appuyant sur des archives du Saint-Siège, affirme que l’institution vaticane était au courant « dès l’automne 1955 » des agissements du prêtre français accusé de plusieurs dizaines d’agressions sexuelles.

« Dès l’automne 1955, non seulement le haut clergé français connaissait la face noire et la dangerosité de l’abbé Pierre, mais le Saint-Siège aussi », affirment, dans L’Abbé Pierre, la fabrique d’un saint, Marie-France Etchegoin et Laetitia Cherel. Les journalistes rapportent, entre autres, une réunion au Vatican au milieu des années 1950. Et le fait que l’appel du Saint-Siège à l’ouverture de « poursuites judiciaires » à l’encontre d’Henri Grouès n’avait pas été suivi par l’Eglise de France.

« Je ne sais pas quand le Vatican l’a appris… »

Ces écrits contredisent les propos du pape François de septembre dernier, qui déclarait alors que le Vatican était au courant des accusations de violences sexuelles de l’abbé Pierre depuis 2007, année de sa mort. « Je ne sais pas quand le Vatican l’a appris […]. Mais, certainement après la mort, c’est sûr », avait-il déclaré.

La Conférence des évêques de France avait alors appelé à ce que « le Vatican se livre à une étude de ses archives et dise ce que le Saint-Siège a su et quand il l’a su ». Un souhait resté sans suite, puisque les journalistes expliquent avoir dû « emprunter une voie détournée » pour consulter les archives à Rome, « le Vatican n’ayant pas encore mis à la disposition des chercheurs ou des journalistes celles qui concernent le fondateur d’Emmaüs ».

Des archives partiellement ouvertes

Ce travail de recherche relance donc l’intérêt et les questions soulevées par les archives du pontificat de Pie XII (1939-1958), les plus attendues et scrutées de la fin du XXe siècle et de ce début du XXIe siècle. Car Pie XII, successeur de Pie XI (1922-1939) et prédécesseur du « bon pape » Jean XXIII (1958), est depuis les années 1960 sujet à controverses pour son attitude pendant la Seconde Guerre mondiale.

De nombreuses voix accusent ce pape – et plus largement l’institution vaticane – de n’avoir pas assez fait contre l’extermination des juifs, de n’avoir pas parlé ouvertement des atrocités nazies, par crainte de représailles pour les catholiques d’Europe. Pour ses défenseurs, Pie XII a pu sauver, en coulisses, de nombreux juifs italiens. Et que c’est précisément cette discrétion qui a permis d’agir.

Ce que révèlent les historiens

En 2020, les archives dites « secrètes » de la guerre ont été partiellement ouvertes, sur décision du pape François, afin de permettre aux historiens de mieux comprendre la position du Vatican face à l’Allemagne nazie. Recouvrant la période 1939-1948, elles sont accessibles depuis 2022 en anglais et en italien sur le site du Vatican.

A la suite de la déclassification de ces archives, plusieurs ouvrages d’historiens ont été publiés, notamment le remarqué Les Ames tièdes : Le Vatican face à la Shoah (La Découverte, 2024), de Nina Valbousquet. L’historienne s’est intéressée au fonctionnement de l’administration vaticane durant la guerre et révèle, entre autres, que le Saint-Siège en savait autant que les Alliés à partir de 1942 sur les crimes antisémites. C’est d’ailleurs cette même année qu’a lieu la seule allusion de Pie XII connue à ce jour à propos du génocide des juifs.

Notre dossier sur l’abbé Pierre

Ce sont dans ces mêmes archives que se sont plongées les journalistes Marie-France Etchegoin et Laetitia Cherel. Archives qui, écrivent-elles, comportaient un « dossier cartonné de couleur bleue » portant le nom de l’abbé Pierre.

Et en France ? Les archives de l’Église, ouvertes de façon anticipée devant l’émotion provoquée par les révélations d’agressions sexuelles commises par l’abbé Pierre, ont permis de dévoiler comment, à la fin des années 1950, la hiérarchie épiscopale avait gardé le silence sur le comportement jugé « problématique » du religieux.

Appel à ouvrir « toutes les archives »

Après les nouvelles révélations sur l’abbé Pierre, l’Eglise de France a annoncé « se rapprocher » du Vatican pour éclaircir ce qui était connu concernant les accusations de violences sexuelles visant l’homme élu 17 fois « personnalité préférée des Français ».

La présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, Véronique Margron, a elle aussi appelé jeudi à l’ouverture de « toutes les archives » sur l’abbé Pierre, y compris celles du Vatican. La religieuse souhaite que les historiens puissent « travailler » sur les agissements et l’« impunité » dont il a bénéficié.



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