
« En 20 ans de bar, je n’ai jamais vu ça », s’alarme Gérard Mauduit, patron du Chien Stupide à Nantes (44), qui vient de subir une agression d’un commando d’extrême droite. Le week-end dernier, dans la nuit du vendredi 25 au samedi 26 avril 2025, six agresseurs, tous cagoulés sauf un, débarquent sur sa terrasse, pas très loin de la mairie, rue de Strasbourg. Il est alors 1h30 du matin, la fermeture approche, deux DJ LGBTQIA+ finissent leur mix. Une bande arrive masquée et commence à placer des autocollants estampillés fafs. L’un d’eux comporte le logo du RED, le Rassemblement des étudiants de droite, faux-nez de l’Alvarium – un groupuscule national-catholique d’Angers (49), dissous par le gouvernement.
Certains clients ne l’entendent pas de cette oreille. Rapidement, une bagarre éclate devant le bar plutôt étiqueté à gauche, lui-même marqué de stickers antifascistes. Mais les néonazis, qui s’adonneront au salut hitlérien, sont équipés et font usage de gel lacrymogène. Plusieurs témoins, salariés du bar comme livreur de repas d’une plateforme, aperçoivent une matraque télescopique. « L’un d’eux avait enlevé sa ceinture et la maniait dépliée à bout de bras », ajoute Pierrick, du Chien Stupide. Les chaises volent, le serveur prend la défense des clients et encaisse quelques coups, lui laissant des ecchymoses à l’arcade sourcilière.
Ni ce dernier ni les deux autres personnes blessées à la main et à la tête ne veulent se résoudre à porter plainte. En cause, les révélations récentes de StreetPress sur Stanislas Laugier, cadre du groupe local néofasciste Ligue ligérienne et le directeur général de la police, son père, Louis Laugier. « Cette situation peut renforcer le sentiment d’impunité de certains jeunes », ajoute Bruno, un des clients du Chien Stupide, présent cette nuit-là.
Ultra violence et reconstitution de ligue dissoute
Le leader du groupe d’agresseurs, le seul dont le visage n’était pas dissimulé, est selon nos informations Côme Jullien de Pommerol. Un grand gaillard angevin qui s’est radicalisé dans le sillage de la Manif pour tous, bien connu de StreetPress. « Il hurlait et répétait en boucle : “Qui est antifa ici ? Venez vous battre, envoyez-moi quatre gars” », raconte Pierrick. L’adepte de la baston est un proche de l’Alvarium. Le RED qu’il menait ce soir au Chien Stupide est sous le coup d’une enquête pour reconstitution de ligue dissoute, tellement il reprend tous les critères du mouvement angevin. Côme Jullien de Pommerol a déjà été condamné à trois mois de prison avec sursis pour son implication dans une rixe à Angers, le 30 juin 2023, dans le contexte d’une manifestation contre les violences policières, après la mort de Nahel Merzouk. Sur des images de ce combat de rue, on le voit frapper violemment sur un manifestant à terre.
Prenez un instant pour écouter un fasciste du RED/alvarium se vanter des violences qu’ils ont commis à Angers et de la décision de la justice (de classe) qu’il voit comme un blanc seing pour recommencer. D’ailleurs en ce moment il s’entraîne à l’udt d’Academia Christiana. pic.twitter.com/ANLU6PCiob
— Réseau Angevin AntiFasciste (@AngersRaaf) August 16, 2023
Côme Jullien de Pommerol est un proche de Jean-Eudes Gannat, ancien leader de l’Alvarium. Sa venue à Nantes le 13 mars dernier pour une conférence organisée par la Ligue ligérienne avait mobilisé les militants antifascistes. Lors de cette manifestation, trois jeunes de droite attablés devant le Café du Cinéma, bar voisin du Chien Stupide, avaient même pris des coups.
Une manifestation prochaine de la mouvance
En moins d’une semaine, l’extrême droite a ciblé trois fois des bars. À Nantes donc, mais aussi à Albi (83), le même soir, où c’est le groupe identitaire violent Patria Albiges qui a sévi. Une attaque constituée d’un violent coup de poing sur une femme sexagénaire et de gaz lacrymogène. À Caen (14), le 23 avril dernier, une autre bande a tenté d’intimider des clients d’un autre bar de gauche, aux cris de « Caen est nazi ». Dans le lot, Libération a repéré deux femmes qui fréquentent la section locale du Rassemblement national de la jeunesse (RNJ).
Une montée de tensions et de violences, alors que se profile la manifestation du Comité du 9 mai, le rassemblement néofasciste qui regroupe chaque année à Paris plusieurs centaines de militants d’extrême droite. Un autre autocollant laissé au Chien Stupide renvoie à ce rendez-vous rituel. Cette année, la manifestation, prévue le 10 mai, sera de nouveau officiellement interdite par la préfecture, a appris Mediapart. Pourtant, l’an dernier, les nostalgiques du Groupe union défense, tenant historique du rassemblement, avaient été autorisés par le tribunal administratif à défiler in extremis.